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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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nous étions seuls, avec nos gens, entre les murs d’un autre châtelet, je crois que nous serions heureux.
    Il y avait pensé bien avant elle, mais Gratot serait à lui : il ne pouvait aller s’enraciner ailleurs, pas même à Rechignac où son oncle manquait, ce qui devait exciter maintes convoitises.
    — Il se peut que tu aies raison… Tu as même raison… Cela est impossible.
    Blandine ne descendit pas. Ogier prétexta un malaise et le dîner se déroula, moins animé que lorsqu’elle y assistait. Le soir, elle se serra contre lui et accepta quelques tendresses avant de se lier avec un soupir qui devait révéler de l’ennui.
    — Tu ne m’aimes plus, lui dit-il à mi-voix. Tu te sacrifies aux usages…
    — Avec ce gros ventre qui pèse et remue, crois-tu que je me sente belle et disponible ? Je suis contre mon gré une femme lendore.
    Craignant de l’entendre récuser cette maternité dont elle paraissait pourtant si fière, il s’abstint de lui répondre.
     
    Mai fut ensoleillé comme enluminure, et le rire fleurit dans les prés, les arbres, et sur les bouches. Les plaies dont Gratot avait souffert se voyaient à peine : quelques pierres plus claires que les autres, des ardoises plus brillantes, des portes et des poutres blanches, et quelques verres aux fenêtres de la grand-salle : Godefroy d’Argouges avait raclé les fonds de son coffre.
    — Au moins, dit-il un midi qu’Ogier réprouvait doucement cette dépense, pourrai-je trépasser en ayant vu Gratot tel qu’autrefois.
    — Père, dit Blandine en cessant de mordiller dans une cuisse de poulet, pourquoi ne faites-vous pas porter, maintenant, les corps de votre épouse et de Gerbold au cimetière ?
    Le baron jeta sur sa bru un regard neutre tout en passant sa main dans la filasse rare, usée, qui tel un bandeau ceignait sa tête.
    — Leur vue commence-t-elle à vous contrarier, ou cela remonte-t-il aux premiers jours de votre venue ?
    — Aux premiers jours, Père.
    Elle avait un mérite : la franchise. Cette facilité à parler – quand elle y était évidemment disposée – ne rendit que plus accablant le silence qui, après s’être crûment appesanti entre le vieillard et elle, s’étendait, en larges ondes, à la tablée tout entière. Ogier lança un bref regard aux convives : soudoyers, serviteurs et servantes – sauf Guillemette et Bertine – approuvaient sa femme et peut-être admiraient sa hardiesse.
    — Qu’en penses-tu, toi, mon fils ?
    — Je pense que Mère et Gerbold méritent d’être plus près de l’église qu’ils ne le sont depuis leur trépas. Plus près de Dieu…
    — Ces tombes t’inspirent-elles autant de répugnance qu’à ton épouse ?
    Le ton demeurait uni mais l’hostilité y était aussi perceptible que l’odeur de rôti qui flottait sur la table.
    — Elles ne sauraient me répugner, Père, mais je trouve qu’il serait plus convenable d’ensépulturer Mère en l’église, comme le mérite lui en revient, et de placer Gerbold… et Yvon de Kergoet en un meilleur lieu.
    « Et même », songea Ogier, « l’avorton de Madeleine Gosselin qui fut enfoui près de l’ermite et dont elle semble avoir oublié le trépas. »
    — Pour Yvon, je comprends : nous le déterrerons de la tour. Pour mon épouse et l’ermite, jamais, tant que je vivrai… Cela, ma bru, peut dépasser l’entendement, mais c’est ainsi.
    Le regard de Blandine flotta vers les poutres tandis que le vieillard grommelait :
    — Jamais Aude n’aurait conçu pareille idée !
    — Cela n’est pas certain, Père.
    — Tu prends donc sa défense, mon fils ?
    Du regard – un regard toujours neutre – et du menton, Godefroy d’Argouges désignait Blandine à l’attention de tous. Il ajouta, mordant un peu plus dans les mots, mais remuant une main comme si quelque mouche le gênait, annonçant ainsi, par avance, une constatation dénuée d’importance :
    — Après tout, c’est ton droit. Tu es son époux… Je passe après, et les morts de la cour, on y pense de moins en moins…
    Ogier eût pu répondre qu’il y pensait, et que le fait qu’ils fussent ensevelis à cent toises des murs ne changerait ni la piété ni les égards dont on les entourait. Et c’était vrai que toutes simples qu’elles fussent, ces deux tombes donnaient à la cour un aspect lugubre. De plus, elles étaient une gêne aux allées et venues. Les chevaux y posaient leurs fers, les roues des chariots,

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