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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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pensées s’attardaient.
    Jean de Normandie se pencha pour une suggestion qui n’ébahit point Ogier.
    — Nous avons, messire Argouges, dans l’ost, quinze cents hommes du Tournaisis. Ils sont venus sans Chevalerie… Ce ne sont que bidaus [357] , archers et picquenaires… Menez-les de la façon dont vous voudrez, mais prenez isnellement [358] cette tour !
    Un moment les lèvres royales se soudèrent et sous la double voûte ombreuse des sourcils enduits de sueur, les prunelles brillèrent de satisfaction :
    — Mon ains-né a raison ! Menez ces tuffes et guicliers [359] de la façon que vous voudrez. Les Goddons ne sont que trente… À quinze cents, vous devez aisément les occire !
    Le roi avait oublié qu’à Crécy, vingt-cinq mille Goddons, peut-être moins, avaient anéanti son armée grandissime.
    — Nous ferons de notre mieux, sire… Où sont ces gens de Tournai ?
    — Là-bas, dit Geoffroi de Charny.
    Et d’un mouvement dédaigneux du menton, il désignait une grande masse de piétons immobiles, en rangs serrés, dont les armes d’hast étaient si proches les unes des autres qu’elles formaient, vues de loin, une haute palissade. Une bannière en émergeait, si lacérée, si poudreuse qu’elle eût pu rallier n’importe qui autour d’elle.
    — Issez, chevalier [360] , dit le roi qui se croyait sans doute en son palais.
    Forçant sur le cérémoniel, Ogier s’inclina devant Geoffroi de Charny comme il l’eût fait en présence d’un bienfaiteur auquel Philippe VI lui-même eût envié la munificence :
    — Messire, je conçois votre immobilité. Quel dommage, cependant, que vous en soyez affligé : vous seriez venu avec moi, ne serait-ce que pour tenir ma bannière.
    Loin de lui l’idée de se poser en victime : il ne pouvait, en l’occurrence, que se montrer acerbe, consentant et déterminé. Toutefois, il se sentait coupable d’être jeune, vaillant, sans autre richesse que celle du cœur, encore que celui-ci fût en piteux état. Insoucieux de l’attitude du porte-oriflamme, il s’adressa au roi que ses fils, le puîné à dextre, l’aîné à senestre, semblaient étayer afin qu’il restât debout.
    — Sire, dit-il, ce soir, vous aurez cette tour.
     
    *
     
    — Non, Thierry, tu ne m’accompagneras pas ! Tu connais leurs archers : même à un contre vingt, ils nous infligeront des pertes… Il faut que tu demeures auprès de nos hommes… Soyons humbles en cette épreuve… Laissons la fierté au roi… Nous avons besoin, chez nous, de gars solides et unis… Gardons-les… Ils nous aiment bien et nous servent à merveille… Le fait n’est pas si courant pour qu’en contrepartie nous les fassions occire…
    — Qui te dit qu’ils seraient occis ?
    — Personne… Mais je te l’avoue : j’ai peur… Cette aventure est inutile et d’une janoterie [361] à la semblance du roi… J’ai toujours pensé que je mourrai pour quelque fait sans importance, et voilà qu’il s’en présente un… Non ! Laisse-moi parler… Si je ne reviens pas, veille sur Blandine et notre enfant… Si tu peux le rencontrer un jour, demande à Calveley de retrouver mon oncle et, s’il vit encore dans quelque geôle de la Grande Ile, qu’il l’aide à revenir mourir en son châtelet… S’il t’est loisible de l’accompagner, reviens à Rechignac quelques jours et mets-toi en quête d’Anne… Garçon ou fille, je lui ai fait un enfant, tu le sais… Si Thibaut, qui la protégea des Anglais, la rend heureuse et considère ce garçon ou cette fille comme sien ou sienne, laisse-les en paix. Mais si Anne te paraît dolente et le petit ou la petite aussi, emmène-les.
    — Holà !… On dirait que tu me fais ton testament !
    — C’est un peu cela.
    Ogier poussa un soupir et resserra, las de ses pensées, la boucle de sa ceinture d’armes. À quoi bon tant de mélancolie ? Il suffisait d’enlever une tour mal défendue. C’était simple… Trop… Sans plus parler, droit dans son armure noire, Thierry le regardait avec une attention lourde d’incertitude. Et de désespoir.
    — Tu n’as pas à testamenter… Mais si tu…
    Thierry hésitait, la tête à demi penchée.
    — À quoi songes-tu ? Dis-le-moi. C’est le moment ou jamais !
    Recouvrant inopinément peut-être son humilité d’ex-écuyer, Thierry semblait partagé entre l’audace et la pitié. Relevant enfin son visage, il demanda, inquiet :
    — Et si je revois Tancrède ?… On ne sait

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