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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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impressions. Quelqu’un comme Brown, qui est trop sûr de lui-même, se fie aux premières impressions, voilà pourquoi il en a après moi. Simplement parce qu’une nuit je suis resté trop longtemps de garde. Si j’avais essayé d’y couper, oui, alors il aurait eu raison ; mais, étant donné les faits, je pense que, simplement, il en a après moi. » Il se frotta le nez et soupira. « J’aurais pu me sentir en amitié avec eux, mais qu’avons-nous en commun ? Ils ne me comprennent pas, et à mon tour je ne les comprends pas. Pour être copain il faut avoir une espèce d’assurance de soi-même, que je ne possède pas. N’eût été la prise économique à l’époque où j’avais fini le collège… Mais à quoi bon se raconter des bobards, je ne suis pas le type agressif, de toute façon je n’aurais pas réussi. Inutile de se leurrer. Je le vois bien ici même. Tout ce qu’ils savent c’est que je ne peux pas faire le même travail physique qu’eux, aussi ils me regardent de haut. Ils ignorent ce qui se passe dans ma tête, ils ne s’en soucient pas. Des pensées élevées, l’intellect, qu’est-ce que cela signifie pour eux ? S’ils voulaient, j’aurais pu être leur ami, je suis fait pour l’amitié. J’ai de l’expérience, j’aurais pu leur dire des choses, mais m’écouteraient-ils seulement ? » Il fit claquer sa langue en signe de frustration. « C’est toujours comme ça que ç’a été avec moi. Si pourtant je trouvais un travail qui corresponde à mes aptitudes, j’aurais pu réussir. »
    Il passa à côté du varech qui s’était échoué sur la grève, et, curieux, il s’approcha pour l’examiner. « Varech géant, je devrais m’y connaître un peu, c’était mon sujet au collège, mais j’ai tout oublié. » Il se sentit amer à cette pensée. « A quoi bon toute cette éducation si on ne se souvient de rien ? » Il regarda l’algue, en prit une des extrémités dans la main. « Ç’a l’air d’un serpent. Un organisme si simple. Une ancre en queue, par où ça se fixe sur les rochers, et une bouche à l’autre bout, avec une connexion entre les deux. Que pourrait-il y avoir de plus simple ? Un organisme primitif, algue brune, voilà ce que c’est, si seulement je m’y mettais tout me reviendrait. Quelque chose comme macrokyste, c’est le nom que ça porte, vulgairement dit lacet du diable, ou bien est-ce là quelque chose d’autre ? Macrokyste pyrifera, je me rappelle, on a eu une conférence à ce sujet. Peut-être devrais-je reprendre ma botanique, il n’y a que douze ans depuis, j’aurais pu rafraîchir ma mémoire, il doit y avoir de bons emplois dans la partie. C’est un sujet fascinant. »
    Il abandonna l’extrémité du varech. C’est une plante insolite, je voudrais pouvoir m’en souvenir davantage. Toutes ces plantes marines valent la peine qu’on les étudie, planctons, algues vertes, algues brunes, algues rouges, je suis surpris de voir quelle bonne mémoire j’ai. Il faut que j’écrive à Dora pour lui demander de retrouver mes notes de botanique, je ferais peut-être bien de reprendre tout ça. »
    Il prit le chemin de retour, examinant les algues et les débris le long de la plage. « Choses mortes tout ça, pensait-il. Rien ne vit que pour mourir. Je puis déjà le sentir en moi, je me fais vieux, trente-quatre ans, j’ai probablement dépassé la moitié de ma vie, et qu’ai-je fait de bon ? Il y a un mot yiddish pour ça, Goldstein doit le connaître. Mais je ne regrette pas de n’avoir jamais appris le yiddish, et c’est mieux que vos parents soient à la page comme les miens.
    « Zut, j’ai mal aux épaules, pourquoi ne nous laissent-ils pas en paix pour un jour ? » Il aperçut, au loin, les hommes de la section et il eut un pincement au cœur. « Oh ! ils ont déjà repris le travail. Ils vont tous se mettre à me lancer des quolibets, et que puis-je leur dire, que j’examinais une algue ? Ils ne comprendraient pas. Pourquoi n’ai-je pas pensé à me dépêcher ? »
    Péniblement, craintivement, Roth se mit à courir.
    « Qu’est-ce que t’es… Sicile ? » demanda Polack a Minetta. Ils pataugeaient côte à côte dans le sable. Grognant, Minetta envoya une boîte de rations vide rejoindre d’autres boîtes vides. « Non, Venise, dit-il. Mon grand-père était une grosse huile tu sais, un aristocrate dans les environs de Venise. » Ils revinrent sur leurs pas, se dirigeant vers

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