Les Nus et les Morts
il riait sa peau se ratatinait comme celle d’un quinquagénaire. Minetta se disait qu’avec son nez crochu et sa longue mâchoire qui se rabattait sur ses gencives fuyantes, Polack ressemblait à une caricature de l’Oncle Sam. Cependant, il se sentait mal à son aise en sa présence ; il avait secrètement peur de mesurer son savoir contre celui de Polack.
La serrure de la porte d’en bas est cassée bien sûr, et il y a beau temps que les boîtes à lettres ont été saccagées, dont les charnières se couvrent de rouille. Le couloir sent la pissotière ; le carrelage crasseux de l’entrée a absorbé des odeurs de tuyau qui fuit, de chou et d’ail, d’étoupe de graisse dans la canalisation qui ne fonctionne plus. En montant l’escalier on doit se porter contre le mur car, le garde-fou cassé branle comme la carcasse d’un vaisseau qui pourrit sur le sable. Dans les encoignures, le long des plinthes, on peut voir les souris aller l’amble dans la poussière et la pure et fantastique démarche des cafards en promenade.
Le puits d’aérage qui relie les unes aux autres les salles de bains d’étage en étage s’emplit d’impuretés et parfois d’une décharge d’ordures ménagères. Quand ça sera bien engorgé, le concierge y mettra le feu.
Incinérateur improvisé.
L’immeuble ressemble en tous points aux autres immeubles de ce quartier, à un mille à la ronde.
Casimir (« Polack ») Czyniewiez, neuf ans, se réveille le matin, se gratte la tête, s’assied sur l’édredon piqué étalé par terre, regarde le fourneau éteint qui occupe le centre de la chambre. Trois autres enfants dorment ici, et il se recouche, prétendant qu’il est encore endormi. Bientôt sa sœur Marie se réveillera, elle se mettra à trotter et à s’habiller, et il veut la voir.
Dehors le vent frappe contre les persiennes, glisse entre les craquelures et folichonne librement le long du plancher.
Jésus, fait froid, fait-il à l’adresse de son frère couché à côté de lui.
Elle s’est levée déjà ? (Le frère a onze ans.)
Bientôt. Il met un doigt sur ses lèvres.
Marie se lève en frissonnant, furette distraitement autour du fourneau, puis passe sa combinaison de coton par-dessus ses épaules tandis que sa chemise de nuit glisse sur ses hanches. Les deux garçonnets entrevoient un éclat de chair nue et ils pouffent doucement dans leur édredon.
Qu’est-ce gue tu regardes, Stève ? crie-t-elle.
Ho, je t’ai vue, je t’ai vue.
T’as pas vu.
Si j’ai vu.
Casimir a avancé la main pour arrêter Stève. Trop tard. Il secoue la tête avec un profond dégoût, le dégoût d’une grande personne. Pourquoi que t’as fait ça, t’as tout gâché maintenant.
Aaah, la ferme.
T’es une andouille, Stève.
Stève lui allonge une bourrade, mais il s’esquive, galope par la chambre, évitant son frère. Arrête ça, Stève, crie Marie.
Assez, assez, hurle Polack.
Vêtu de son seul pantalon, le père, un homme énorme et lourd, arrive de l’autre pièce. Arrêtez ça les enfants, crie-t-il en polonais. Apercevant Stève, il lui flanque une taloche. Espionne pas la fille. 4
C’est Casimir qui l’a fait le premier.
J’ai rien fait, j’ai rien fait.
Laisse Casimir tranquille. Il flanque une nouvelle taloche à Stève. Ses mains sentent encore l’abattoir.
Je t’aurai, chuchote Stève.
Aouououou. Mais Casimir rit dans sa barbe. Il sait que Stève oubliera, et s’il n’oublie pas il y aura moyen de lui échapper. Il y a toujours moyen de se tirer d’affaire.
Dans la classe tout le monde pousse des cris.
Qui c’est qu’a mis du chewing-gum sur les bancs, qui c’est qui l’a mis ?
M lle Marsden semble sur le point de pleurer. Silence, les enfants, silence s’il vous plaît. John, et toi Louis, commencez à nettoyer les bancs.
Pourquoi nous, mademoiselle ? C’est pas nous qu’on a mis la gomme.
Moi je les aiderai, mademoiselle, dit Casimir.
Très bien, Casimir, tu es un bon garçon.
Les petites filles remuent leur nez, le regard curieux et indigné tout à la fois.. C’est Casimir qui l’a fait, chuchotent-elles, c’est Casimir qui l’a fait.
M lle Marsden les entend a la fin. Est-ce toi qui l’as fait ?
Moi, Mademoiselle, pourquoi que je l’aurais fait ?
Viens ici, Casimir.
Il s’approche, s’appuie contre le bras de la maîtresse quand elle lui entoure le cou. Regardant la classe et clignant de l’œil alors qu’il pose la tête sur l’épaule
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