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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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bien vu, pouvez foutre pas faire attention avec un gars qu’est blessé, vous faites que me secouer et remuer le pus que j’ai dedans mes tripes, Stanley te fais ça tout juste exprès pour me faire souffrir. C’est tout ce qu’y a de plus dégueulasse de traiter comme ça un copain… » Sa voix se faisait aiguë, querelleuse. Çà et là un cahot un peu brusque lui arrachait un hurlement.
    « Nom de Dieu, laissez-moi tout seul. » De douleur, de chaleur, il pleurnichait comme un enfant. « Je vous aurais pas fait ce que vous me faites à moi. » Il restait sur le dos, la bouche ouverte, son souffle se débattant dans sa gorge desséchée comme une vapeur qui s’échappe en vibrant par le bec d’une bouilloire. « Aou, doucement, merde alors, doucement.
     – On fait ce qu’on peut, ronchonnait Brown.
    – Risquez pas de vous fouler le pouce, vous autres. Wilson l’oubliera pas. Nom de Dieu de merde. »
    Et ils peinaient pendant une autre centaine de mètres, reposaient le brancard, et se regardaient niaisement les uns les autres.
    La blessure de Wilson palpitait douloureusement. Ses muscles abdominaux étaient endoloris et exténués à force de lutter contre la souffrance, et la fièvre drainait l’humidité de son corps. Ses membres devinrent de plomb sous la chaleur du soleil, et il n’y avait pas trace d’humidité dans sa gorge et sa poitrine congestionnées. Toute secousse l’atteignait comme un coup. Il se sentait épuisé comme s’il avait soutenu une lutte de plusieurs heures contre un adversaire bien plus grand et plus fort que lui-même. Il oscillait souvent au bord de la syncope, mais il suffisait d’une embardée du brancard pour le ramener violemment à la conscience. Cela le mettait à la limite des larmes. Les dents serrées, il se raidissait pendant de longues minutes dans l’anticipation de la secousse dont le contrecoup éveillait les lancinements assoupis de sa blessure et râpait ses nerfs enflammés. Il lui semblait qu’il souffrait par la faute des brancardiers et il les haïssait avec la rage que l’on éprouve à l’endroit d’un meuble à l’instant où l’on est venu s’y cogner la jambe. « Brown, espèce de salaud.
    – La ferme, Wilson », disait Brown. Il avançait d’un pas chancelant, ses doigts lâchant peu à peu le manche du brancard. Quand il se sentait sur le point de lâcher prise il criait halte, puis, agenouillé à côté de Wilson il se massait une main avec les doigts de l’autre, et essayait de regagner son souffle. « Calme-toi, Wilson, on fait ce qu’on peut, haletait-il.
    – Brown, t’es un salaud, tu me secoues exprès. »
    Brown avait envie de pleurer ou de le gifler. Les abcès sur ses pieds avaient abouti, ils saignaient à l’intérieur de ses chaussures et le mettaient au supplice dès lors que, faisant halte, il en devenait conscient. Il n’avait plus la volonté de poursuivre, mais sous le regard de ses hommes il se reprenait à marmonner : « Allez, en avant les gars. »
    Ils s’avancèrent de la sorte pendant plusieurs heures, ahanant sous la chaleur méridionale. Lentement, irrévocablement, leur volonté et leur résolution se désagrégeaient. Ils se poussaient en avant à travers un flamboiement de chaleur, unis à. contrecœur les uns aux autres dans une association faite d’épuisement et de rage. Toutes les fois que l’un d’eux venait à trébucher, les autres le haïssaient pour la charge subitement accrue qui leur arrachait les bras, tandis que les grognements de Wilson taraudaient leur apathie et-les cinglaient comme des coups de fouet. Pas à pas ils s’enfonçaient au plus profond de la détresse. Parfois, succombant à un flot de nausée, ils sentaient leur vue s’évanouir presque entièrement pour de longues minutes. Le sol s’obscurcissait sous leurs yeux et un goût de bile leur montait à la bouche. Ils poussaient de l’avant, gourds, abrutis, souffrant davantage que Wilson. N’importe lequel d’entre eux eût volontiers échangé sa place avec le blessé.
    A une heure Brown ordonna une halte. Ses pieds devenaient de bois et il était sur le point de défaillir. Laissant Wilson au soleil ils s’éparpillèrent autour de lui face à terre, avalant de grandes gorgées d’air. Les collines miroitaient dans la chaleur méridionale, leur reflet multiplié sans fin de pente en pente. L’air était stagnant. Wilson marmonnait et extra vaguait de temps à autre, mais ils ne lui prêtaient

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