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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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de son quartier contre celle d’un autre quartier. Dans la seconde moitié de la partie ses jambes le trahirent, et il gardait l’humiliant souvenir de l’adversaire qui le débordait presque à volonté, alors que lui ne faisait que se traînailler minablement. Il aurait abandonné, mais il n’y avait pas de remplaçants. Ils perdirent de plusieurs points, mais il y eut un gamin dans son équipe qui ne s’était jamais déclaré battu. Il n’avait pour ainsi dire pas quitté le terrain, hurlant des encouragements, devenant de plus en plus furieux à mesure que l’équipe ennemie l’emportait.
    « Il n’était pas de cette pâte, lui, pensait-il. Il n’était pas de la pâte des héros. » L’idée le frappa avec une soudaineté et une force qui, quelques mois plus tôt, l’eussent anéanti. A présent il n’en éprouvait que de la tristesse. Il ne comprendra jamais des hommes comme Croft ; tout ce qu’il voulait, c’était de ne pas croiser leur chemin. « Mais, encore, qu’est-ce qui les pousse ? se demanda-t-il. Qu’est-ce donc qu’ils ne cessent jamais de chercher ? »
    « Je la hais, cette sacrée montagne, dit-il à Roth.
    – Et moi donc », dit Roth en soupirant de nouveau.
    Cette montagne était si vaste, si haute. Bien que couché à plat dos, il n’en voyait pas le sommet. Elle se dressait au-dessus de lui falaise après falaise, et dans les hauteurs elle paraissait entièrement faite de rocs. Il haïssait aussi la jungle ; toutes les fois qu’un insecte avait rampé sur sa chair, qu’un oiseau avait soudainement pépié dans la brousse, un frémissement de terreur l’avait entamé. Il avait été incapable de rien y voir, et c’était si plein d’odeurs suffocantes qui vous prenaient à la gorge. On y manquait d’air, et cependant il souhaitait dans cet instant de se retrouver au cœur de la jungle. On s’y sentait si en sécurité par comparaison à ces falaises nues, à ces voûtes dépouillées de pierre et de ciel. Ils continueront de monter et de monter, offrant prise à tous les dangers. La jungle elle aussi regorgeait de menaces, mais elles ne lui avaient pas paru si imminentes ; il s’y était fait en quelque sorte. Tandis qu’ici – un seul faux pas et c’était la mort. Il était préférable de vivre dans une cave que de danser sur la corde raide. Il se remit à arracher rageusement des touffes d’herbe. Pourquoi Croft ne faisait pas demi-tour ? Qu’espérait-il atteindre ?
    Martinez était fourbu, Il se ressentait de son expédition nocturne, et tout en escaladant la montagne il se traînait d’un pas pesant, misérablement angoissé, les jambes tremblantes, le corps en sueur. Son esprit s’était carapacé d’une couche protectrice d’amnésie. Le rapport entre sa reconnaissance et la mort d’Hearn s’estompait, en surface du moins, derrière un bienfaisant brouillard. Cependant, depuis la deuxième embuscade, il éprouvait l’appréhension de celui qui, dans son rêve, se sait coupable et s’attend à subir le châtiment d’un crime dont il n a pas le souvenir.
    Tout en gravissant les premières pentes de la montagne il songeait sombrement au soldat japonais qu’il avait tué. Le cruel éclat du soleil matinal lui restituait son visage avec une netteté et une clarté bien plus vives que la veille, et sa mémoire retraçait le moindre geste du Japonais. Il sentait le sang qui s’écoulait sur ses doigts, et qui les empâtait. En examinant ses mains il découvrit avec un spasme d’horreur un filet de sang coagulé entre ses phalanges. Il grogna avec la répugnance et l’anxiété excessives de celui qui-écrase un insecte. Ahrr. Et, sans transition, il revit le Japonais qui se triturait le nez.
    Lui seul était à blâmer.
    Blâmer de quoi ? Ils étaient dans la montagne mainte nant, et s’il n’avait.,, s’il n’avait pas… « Si pas tuer Japo nais retourner sur la plage », se dit-il. Mais cela non plus ne rimait à rien, et l’angoisse continua à fourmiller le long de son dos. Il renonça à l’effort de penser, avançant avec lassitude au milieu de la colonne, ne trouvant aucun secours dans les fatigues de la marche. Plus il se sentait fourbu et plus ses nerfs se raidissaient. Ses membres étaient le siège d’une pénible et fiévreuse sensibilité.
    Pendant la halte il se laissa aller près de Polack et de Gallagher. Il voulait leur dire quelque chose, encore qu’il ne sût pas quoi au juste.
    Polack lui sourit.

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