Les panzers de la mort
en s’effaçant pour libérer le chemin.
Une dizaine de chasseurs, armés de revolvers et de gourdins s’ébranlèrentde mauvaise grâce, dans un silence voisin de celui qui précède les typhons. Un sous-officier prenant son courage à deux mains, et agitant son revolver sous le nez de ses subordonnés, donna l’ordre d’enfoncer la porte. Celle-ci résista à la première poussée, mais on entendit un grognement sauvage monter de la citadelle du géant. Un chasseur demanda : – C’est un homme qu’il y a là-dedans ?
– Je n’en sais rien, répondit quelqu’un, mais maudit soit le jour où je suis entré dans la gendarmerie !
Trois costauds s’y mirent, la porte céda enfin et tomba avec un Craquement dans la chambre de Petit-Frère. Celui-ci vomit un torrent d’injures et, toujours sans pantalon, se jeta comme une bête sur les soldats dans un tourbillon de coups et de hurlements qui faisait vaciller tout l’établissement.
– Notre réputation… notre réputation ! Fusillez-le !… gémissait une des matrones en se prenant la tête à deux mains.
A la fin, Petit-Frère plia sous le nombre, mais même lorsqu’il fut sans connaissance les chasseurs, furieux, continuèrent à cogner. Ils le jetèrent comme un sac de ciment, au rez-de-chaussée, où l’officier lui donna pour finir, un bon coup de pied dans les côtes qui rendirent un son creux.
Nous ne le revîmes que trois semaines plus tard. Mais malgré de nombreuses séances de bastonnade Il ne révéla jamais le nom de ses complices. On savait seulement qu’ils appartenaient au 27 e régiment de blindés, d’où l’interdiction, pour tout le régiment, de mettre les pieds dans un bordel de campagne pendant six mois. En outre, Petit-Frère fut condamné à détecter les mines dans le « no man’s land » trois mois durant. Il le fit pendant cinq jours, puis on oublia de l’y envoyer.
Commandant de notre bataillon, le lieutenant-colonel Hinka, savait, mieux que tous les conseils de guerre, apprivoiser les sauvages du genre de Petit-Frère et Il avait aussi l’art de tourner les sanctions meurtrières. A la 5 e Compagnie, tout le monde s’y mettait pour essayer de civiliser ce grand corps monstrueux qui n’était au fond qu’un collégien naïf, à qui la nature aveugle avait donné beaucoup trop de vigueur pour un minimum de cervelle.
Le soldat à la guerre est comme le grain de sable sur la plage.
Le flot le submerge, l’aspire, le rejette, pour l’aspirer à nouveau
Et Il disparaît sans que personne s’en aperçoive et sans que personne se soucie de son destin.
CORPS A CORPS DE BLINDÉS
Il commençait à neiger. C’était une neige mouillée, glaciale, qui devenait une boue sans fond, une neige faite d’une eau qui pénétrait partout.
Minuit approchait. Assoupis dans nos blindés, nous n’avions pas eu, depuis cinq jours, un seul instant de repos sur ce champ de bataille littéralement couvert des épaves incendiées du 27 e régiment de chars.
Mais quelque part, à l’arrière, Il devait y avoir d’énormes réserves d’hommes et de matériel car Il nous en arrivait sans cesse. Nous étions invraisemblablement sales. couverts de poussière, de boue et d’huile, et les yeux brûlés par le manque de sommeil. Pas une goutte d’eau depuis plusieurs jours, en dehors de celle que nous pouvions recueillir dans les trous bourbeux ; pas de ravitaillement non plus. La « ration de fer » elle-même y avait passé et Porta aurait mangé les boîtes, tellement Il avait faim.
Le petit légionnaire et lui battirent plusieurs fois la campagne pour essayer de. rapporter quelque chose, mais partout où nous avions passé c’était le désert, et, à l’arrière, Il ne semblait y avoir que des hommes, des chars, des munitions – Rien à bouffer ! On avait dû oublier le ravitaillement, ou bien, comme disait Alte, découvrir qu’il y avait de l’argent à gratter sur le dos du pauvre troupier. Bref, nous ne trouvâmes à nous mettre sous la dent que quelques concombres aigres.
Soudain, on entendit quelque part dans la ville à peu de distance de nos lignes, le bruit de chaînes des blindés. – J’espère que ce n’est pas Ivan, dit Pluto qui tendait le cou, essayant de percer l’obscurité opaque.
Inquiets, nous dressons l’oreille… ces bruits de chaînes, là-bas, dans le noir, ça donne au plus courageux la chair de poule. On met les moteurs en route, les changements de vitesse grincent,
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