Les porteuses d'espoir
Ses longs cheveux dégoulinaient
sur une légère robe d’été qui collait à son corps et en révélait toutes les
formes. La femme était nue sous sa robe, complètement nue… Pierre voyait les
seins aux mamelons pointés, l’ombre des poils de son sexe, tout, tout était
révélé. Odile resta figée. Seule la bûcheronne en jupon réagit. Elle se leva et
alla se placer comme un bouclier devant l’indécente femme.
— Ce… c’est ma cousine…, bégaya-t-elle. A revient de se baigner dans le
ruisseau d’en arrière de chez nous.
— Je savais pas qu’il y avait quelqu’un…, dit la femme d’un air contrit.
Pierre trouva la force de se lever tandis que la mère d’Odile poussait l’autre
femme derrière la couverture qui servait de porte.
— Envoye dans chambre, toé, dit-elle.
Pierre balbutia quelques vagues excuses et se sauva littéralement dehors. Au
même instant, le camion, son camion, passait devant lui. Il sauta sur la route à
la poursuite du véhicule, criant à son collègue de s’arrêter pour le faire
monter. C’était à se demander ce qui le faisait courir aussi vite : désirer
rattraper le véhicule ou fuir l’image de la mère d’Odile posant une main
possessive sur une paire de fesses mouillées, un regard concupiscent dans les
yeux…
— Alors, Rousseau, je te laisse une chance. C’est-y vrai pour le camion ?
Pierre avait regardé son patron. C’était la vérité. Il n’avait pu le nier. Il
avait couru et l’autre chauffeur s’était arrêté pour le faire monter à bord. Ils
n’étaient pas revenus sur l’incident. Pierre avait cru que tout était oublié.
Devant son patron, il avait rapidementcompris le manège de son
collègue. En le dénonçant ainsi tardivement, jouant au bon gars rempli de
scrupules, il s’assurait de prendre la place de Pierre pour rester à l’emploi de
Tremblay Express.
En fin de compte, c’était un mal pour un bien, ce licenciement. Pierre ne
serait pas fâché de retrouver la quiétude de la forêt pour plusieurs mois et
cela l’éloignerait de la mère d’Odile. Si le camion n’était pas tombé en panne à
cet endroit précis, si Odile n’était pas passée exactement à ce moment, si elle
n’était pas tombée, si leur rencontre n’avait pas été remplie de « si »,
conférant à l’événement une auréole de destinée, de magie, jamais Pierre ne
serait retourné dès le lendemain frapper à la porte de cette maison pour
commencer à fréquenter Odile. Plusieurs soirs par semaine et tous les dimanches,
il se présentait chez la jeune fille. Il s’arrangeait pour l’attendre à
l’extérieur, sur la galerie, pour repartir immédiatement avec Odile l’emmener
faire un tour de machine ou l’accompagner à la messe. La mère n’avait
jamais émis d’objection à ce que sa fille monte, seule, dans la voiture d’un
homme. Le manque de chaperon semblait être le dernier de ses soucis. Mais pas
pour Odile. Dans l’automobile, elle se tenait à l’extrémité opposée de Pierre,
tout contre la portière. Sur ses genoux bien serrés, elle tenait son petit sac à
main, regardant droit devant elle. Au cours de l’été, ses soupçons quant à la
relation… intime… entre la mère d’Odile et sa prétendue cousine furent maintes
fois confirmés. Le bûcheron en jupons n’avait pas assez de vernis pour ne pas se
trahir. Des mains baladeuses, des regards possessifs, des remarques déplacées.
Monter au chantier lui ferait le plus grand bien. Il avait besoin de réfléchir.
Il ne s’était pas encore décidé à faire le grand pas et demander Odile en
mariage. S’il fallait croire l’adage qu’avant de marier une fille, on regarde la
mère, pauvre Odile, elle resterait vieille fille à jamais ! Un hiver de
séparation était parfait. Il verrait à son retour. Une chose était certaine :
s’il se décidait, il emmènerait Odile vivre loin, très loin
d’Hébertville-Station…
— Tu comprends, Odile, comme j’ai plus de job sur les camions,
j’ai pas le choix d’aller hiberner dans le bois.
— Un hiver, c’est trop long… Je vais m’ennuyer…
Odile se mit à pleurer.
Pour la consoler, Pierre laissa échapper ces paroles :
— Moi aussi, Odile, moi aussi. Mais pense que l’année prochaine, tu vas
peut-être devenir madame Rousseau.
La jeune femme leva vers lui un regard embué rempli de
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