Les porteuses d'espoir
ses genoux. Elle tenait le bassin au cas où les nausées le
reprendraient. Les quelques voyageurs qui étaient là avant eux leur avaient
obligeamment laissé la place. Leurs regards curieux se posaient sur eux,
essayant de deviner la cause du mal qui rongeait l’homme roux. Mélanie salua le
vieux monsieur Pichette. Il avait rendez-vous chez un dentiste de Roberval pour
essayer ses nouvelles prothèses, avait-il indistinctement aboyé, à moitié sourd
et édenté.
En face d’elle, Jeanne-Ida prenait place sur un autre banc avec les vieilles
filles Dallaire. Les deux sœurs se tenaient droit et lançaient à Mélanie des
regards désapprobateurs, trouvant bien inconvenant que la fille Langevin et cet
homme, malade ou pas, se permettent tant de familiarité. Trois jeunes garçons et
une fillette, les malcommodes enfants du couple Berthiaume, couraient partout,
se chamaillant.
— Ils m’ont tiré les tresses, avait pleurniché la petite Jeannette en se
plaignant à sa mère.
Impatiente, celle-ci lui avait répondu d’un ton sec :
— T’as juste à rester tranquille pis sage.
Leur père, qui lisait un journal, invita sa fille à venir le retrouver à côté
de lui.
— Pis fais ta bonne fille.
Jeannette s’assit, la mine boudeuse, se contentant de balancer ses jambes
d’avant en arrière tandis que ses frères jouaient aux Indiens et aux
cowboys.
Monsieur Wise, le Juif de Normandin (chaque village ou presque avait sa famille
juive), restait à l’écart. Il devait se rendreà Roberval pour
affaires, comme Mélanie savait qu’il en avait l’habitude. Les autres voyageurs
étaient inconnus de la jeune fille. Il y avait le cuisinier d’un chantier qui
rentrait chez lui et s’inquiétait de sa malle.
— Je veux la garder avec moé dans le wagon, disait-il au gérant de la station.
Mes chaudrons, c’est mon gagne-pain. Au chantier, je les laisse pas tout seuls
deux minutes, pis quand je rentre en ville, ma malle voyage avec moé !
Un commis voyageur s’avança :
— Mesdames, en attendant, je peux vous montrer ma valise. J’ai les meilleures
brosses en ville, de toutes les grosseurs !
— On est pas intéressées, répondit sèchement une des sœurs Dallaire.
— Attendez de voir mes brosses à plancher ! Des crins ben solides, ben
drets !
Et une jeune institutrice qui venait de décrocher son premier travail dans une
école de rang suite à un poste qui s’était libéré s’exprima :
— Je suis assez nerveuse, papa, disait-elle à l’homme qui l’accompagnait. Il
faut pas que je sois en retard, je donnerais pas une bonne impression.
Mathieu, le nez à la fenêtre, surveillait l’arrivée du train.
Ils s’étaient dépêchés pour rien. Le gardien de la station, monsieur Laforce,
les avait accueillis avec une mauvaise nouvelle. Le mauvais temps avait retardé
le train.
— Mais il neige pas si fort que ça ! s’était exclamé Mathieu.
— Pas icitte encore, mais de par le sud, on voit pas à deux pouces, qu’ils
m’ont dit. Pis la tempête s’en vient par chez nous.
Ne pouvant rien faire d’autre qu’attendre, Mélanie et Jeanne-Ida avaient
installé leur malade du mieux qu’elles pouvaient.
— Pis la veste aux poches secrètes que tu m’avais fait coudre ? Tu peux pas
savoir comment j’avais travaillé fort. Pis Chapeau,notre pauvre
Chapeau qui avait été battu… J’me demande ce qu’il est devenu…
Mathieu revint vers eux :
— Chapeau, l’Indien ? Il a vécu une couple d’années chez nous sur la ferme de
Saint-Ambroise.
— Ah oui ?
— Oui, il vient, il repart.
Parler de sujets anodins tenait la peur sous contrôle. Tant qu’ils conversaient
comme si de rien n’était, tout allait bien. Seul leur souffle saccadé trahissait
leur angoisse de ne pas arriver à temps à l’hôpital.
— Encore l’autre jour, il est venu nous dire bonjour au chantier, continua
Mathieu.
— Il avait un nouveau chapeau..., murmura Pierre.
Soudain, Pierre se redressa. Il avait mal au cœur. Mélanie mit vivement le
bassin devant lui. Après quelques respirations saccadées, Pierre vomit. Les
enfants Berthiaume s’agglutinèrent autour de leur mère, impressionnés. Les
vieilles filles sortirent un mouchoir et s’en recouvrirent le nez. La maîtresse
d’école cacha un haut-le-cœur. La plupart des autres détournèrent le regard.
Seul le cuisinier ne sembla
Weitere Kostenlose Bücher