Les porteuses d'espoir
miracles. C’est ça que ma religion m’a
appris, pas vous ?
Les autres passagers s’étaient attroupés.
Le conducteur les consulta du regard.
La dizaine de voyageurs opinèrent de la tête, donnant leur accord.
Jeanne-Ida, demeurée sur le bord de la porte, désigna le ciel en disant :
— Regardez, il neige presque pas ! Le temps se claire !
Le chef de train scruta l’extérieur et prit sa décision.
— Bon, que ceux qui veulent prendre le risque montent à bord. On devrait
passer, mais j’embarque pas d’enfants !
— Mais j’ai de la mortalité dans ma famille, se désola madame Berthiaume… Il
faut ben que j’assiste aux funérailles de mon père...
Les larmes aux yeux, elle regarda son mari, désemparée. Il hésita :
— Vas-y toute seule, je vas retourner à la maison avec les garçons pis
Jeannette.
Tous les autres passagers se pressèrent vers le wagon. C’était loin d’être la
première tempête de neige qui faisait plus de peur que de mal !
— S’il fallait s’encabaner à chaque bordée de neige, aussi ben rester avec les
ours, avait dit le vieux Pichette de sa voix forte.
— Bon ben, en voiture, le train du miracle va partir.
Le conducteur fit embarquer une pelle supplémentaire et le train s’engagea sur
les rails. Mélanie pria de toutes ses forces. Allaient-ils parvenir à sauver
Pierre ?
Le convoi allait beaucoup moins vite qu’à l’ordinaire. Deux fois, ils avaient
dû arrêter et les hommes débarquaient, Mathieu en tête, afin de pelleter pour
dégager la voie. Seul monsieur Pichette restait avec les femmes et le malade à
l’abri du wagon.L’état de Pierre se dégradait rapidement.
Mélanie lui soutint la tête tandis que de nouveau, il vomissait. À sa grande
horreur, le bassin fut rempli d’un liquide noirâtre… Du sang, il vomissait du
sang… Découragée, inquiète, Mélanie avait peine à faire bonne figure et tentait
de ne pas alarmer le malade. Elle repoussa le récipient sous la banquette. Mais
quand le train s’immobilisa pour la troisième fois et que cette fois-ci, les
hommes revinrent un à un dans le wagon, disant qu’il n’y avait plus rien à faire
pour tenter de débloquer les rails, elle s’écria :
— Pierre, je suis désolée, oh non ! Pierre…
— Le train peut plus avancer ?
— Non… Ils y arrivent pas…
— C’est pas grave. Je vais mourir heureux… je t’ai revue avec les cheveux
repoussés.
Comment pouvait-il trouver la force de plaisanter en un moment pareil ?
— Pierre…, chuchota la jeune femme.
— Ton docteur… a l’air ben fin…
— C’est pas mon docteur.
— J’ai mal…
— Je sais… chut…
— Pis j’ai froid !
— C’est parce que tu fais ben de la fièvre…
Les larmes aux yeux, témoin de cette scène émouvante, Mathieu regarda son grand
frère en train de mourir. Il regrettait tant. Comme sa jalousie avait été
puérile, mesquine. Il avait rejeté tous ses malheurs sur le dos de ce frère qui,
pourtant, ne lui avait jamais rien fait. Mathieu avait honte, tellement
honte.
— Pierre, je…
— Mathieu, tu avais raison… La poésie, j’ai compris, c’est pas des niaiseries…
c’est comme tu dis… comme ton livre que tu lis tout le temps...
Mathieu prit quelques secondes pour saisir les mots que son
frère cherchait.
— La clé du cœur... La poésie, c’est la clé du cœur des gens, termina
Mathieu.
C’est ce qu’il lui répétait au chantier… Pierre s’en souvenait !
— Je pense que j’ai débarré celui de Mélanie, dit Pierre avec un sourire de
fierté.
— Mon cœur a toujours été à toi…
— Arrête pas de me parler, Mélanie, n’importe quoi, mais parle-moi…, supplia
Pierre en fermant les yeux.
Le silence du wagon était étrange. Dehors, la tempête les avait rejoints et la
neige tombait dru. Le visage des voyageurs, regroupés un peu plus loin, en
disait long sur leur tristesse. Seuls les murmures de Mélanie accompagnaient
l’essoufflement du train qui patientait à cause de cet arrêt forcé.
— Quand t’étais caché dans le bois pis que je t’écrivais, je pensais à toi tout
le temps. J’écrivais ton nom partout. Je l’ai gravé dans le fond d’un de mes
tiroirs. Sur le « i » de Pierre, je mettais un petit cœur à la place du point.
Une religieuse au couvent avait mis la main sur un de mes cahiers. J’étais
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