Les porteuses d'espoir
première fois… Julianna imaginait très bien
ce que sa nièce pouvait ressentir à l’idée de ce voyage. Valait mieux la laisser
près de Marie-Ange. À la droite d’Hélène, elle avait pensé asseoir Mathieu : les
deux se connaissaient, cela serait plus facile. Ensuite, évidemment, prendrait
place Jeanne-Ida. Julianna fronça les sourcils en réalignant les ustensiles. De
l’autre côté de la table, en partant de la gauche, Pierre et Mélanie prendraient
place. Elle pinça les lèvres en repliant artistiquement une serviette de table.
Jean-Baptiste et Léo. Ah ! revoir son petit garçon... À chacun des bouts, son
mari et Georges... face à face... Seigneur, à quoi avait-elle pensé ? Voilà,
c’était complet pour tout le monde. Zoel et Adélard mangeraient à part. Elle eut
encore un pincement au cœur en pensant aux absentes. Yvette était à Paris et
Laura, au couvent. Julianna avait eu beaucoup de chagrin quand Laura avait pris
le voile. Elle avait pleuré pendant des jours avant de se faire un tant soit peu
à l’idée, et encore ! Malgré les belles grandes phrases d’abnégation, de
sacrifice, de Foi plus grande que tout, le cœur d’une mère restait le cœur d’une
mère. Comme lorsqu’elle avait assisté, dans une église plus grande que nature,
au mariage de son fils. Malgré toute sa volonté, elle ne parvenait pas à trouver
Mélanie à la hauteur de Pierre. Elle manquait de vernis, de classe… Ce qui était
difficile, c’était de sentir le peu d’importance qu’elle avait aux yeux de son
fils maintenant. Il l’avait remplacée dans son cœur et cela faisait mal… Surtout
de la part de Pierre, son premier enfant, celui qu’elle avait soigné jour et
nuit après le feu. Elle avait tissé un lien si fort avec lui. Quand, l’année
dernière, il était à nouveau passé à un cheveu de la mort,elle
avait senti la terre s’ouvrir sous ses pieds. Son aversion pour Mélanie datait
de cette époque. Dès que Mathieu était arrivé à Chicoutimi, seul, et qu’il leur
avait relaté la maladie de Pierre, elle avait voulu immédiatement se rendre au
chevet de celui-ci. Mais il était plus sage d’attendre qu’il puisse sortir de
l’hôpital et de le ramener avec eux. Du moins, c’est ce que son mari avait
déclaré. Quand ils s’étaient présentés à Roberval, Pierre avait refusé de les
suivre. Il remontait à Normandin pour Mélanie. Julianna s’était sentie trahie.
Elle se faisait voler son fils, il n’y avait pas d’autres mots… De plus, Mathieu
se joignait à lui. Julianna et François-Xavier étaient revenus sans leurs fils à
Chicoutimi. Leurs fils, qui étaient si heureux à Normandin, gâtés par madame
Langevin qui faisait si bien à manger ; les Langevin ceci, les Langevin cela. À
Normandin, ils s’amusaient, ils jouaient aux cartes, ils veillaient, ils ne
s’ennuyaient jamais avec les Langevin !
— Les voilà, les voilà !
Julianna avait posté Adélard et Zoel dehors afin de surveiller l’arrivée des
visiteurs. Les deux jeunes adolescents, leur beau linge sur le dos, les cheveux
gommés, se ruèrent au-devant de leur mère.
— Ils sont arrivés !
— Qui ? La visite de Montréal ou Pierre et Mathieu ?
Alerté, François-Xavier vint regarder par la fenêtre.
— C’est Pierre… et Georges qui arrive en même temps dans son nouveau
camion.
— Les petits gars, retournez surveiller la voiture de votre oncle Henry. Tu
parles d’une idée de venir de Montréal en auto, aussi. Il leur est peut-être
arrivé quelque chose…
— Julianna, recommence pas à imaginer le pire.
— Henry m’avait dit qu’il serait ici pour le dîner. Ils couchaient à
Québec.
— La nouvelle route du parc est pas facile à traverser, Julianna. Ils sont
mieux de prendre leur temps.
— Arrange ton col de chemise… Moi, je suis correcte ?
— Mais oui, Julianna, mais oui.
— Entrez, entrez, bonjour Mélanie, vous avez fait une bonne route ?
— Bonjour, belle-maman…
Julianna serra les dents à cette appellation.
— Mathieu, Jeanne-Ida…
— J’espère que je dérange pas, madame Rousseau. Mathieu a tellement
insisté.
— Mais non, tu es presque de la famille, dit François-Xavier avec un clin d’œil
malicieux à son fils.
Gêné, Mathieu baissa la tête un peu. Il n’était pas habitué à l’attitude
affectueuse de son
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