Les porteuses d'espoir
sacrifierait… Si le Seigneur n’avait pas voulu
qu’elles se rencontrent, il n’aurait pas, dans sa grandeur, fait qu’elles se
retrouvent à Paris en même temps. Le cœur battant, elle entrevit enfin le numéro
qu’elle cherchait. Il était dissimulé dans une porte cochère. Elle traversa
rapidement la rue. Elle étudia les noms sur les étiquettes et fronça les
sourcils. À l’étage correspondant à l’appartement de sa sœur, il n’y avait
qu’une veuve et un monsieur Durand. Probable que ces vieilles étiquettes
n’étaient jamais mises à jour. Laura souleva le bas de sa robe de missionnaire
et monta les marches. L’odeur de friture de poisson lui leva le cœur. À Paris,
les gens préparaient leur repas du soir. Laura se morigéna. Vraiment, elle
devrait s’endurcir… Elle affronterait certainement pire en Afrique dans ces
villages de brousse, sans hygiène, rien. Décidée, elle grimpa plus rapidement
les marches. Elle hésita et frappa à la porte portant le numéro 5. Des bruits de
pas traînants se firent entendre. À travers la porte, une femme avec un accent
français cria :
— Qui est là ? Si c’est pour le loyer, je vous ai dit de revenir demain !
— Je suis sœur… Yvette, c’est toi ?
Laura n’en revenait pas. C’était le son de la voix qui avait trahi
Yvette.
La porte s’entrebâilla et une femme au visage fatigué, portant un fichu sur la
tête, un enfant accroché à sa jupe, apparut.
Yvette ouvrit complètement la porte.
— Laura ? Que fais-tu ici ?
— Je peux entrer ?
Les deux sœurs se regardèrent un instant.
— Si tu y tiens.
— J’y tiens.
L’appartement était minuscule. Un tel désordre y régnait que Laura ne savait où
poser les yeux. De toute évidence, sa sœur avait menti dans ses lettres. Elle
était loin de vivre dans l’opulence et lesuccès. Yvette était
plus pauvre que bien des mendiants. Le petit garçon fixait la visiteuse d’une
paire de yeux curieux, un brin fantasque… le regard d’Yvette.
— Maman, c’est qui la madame ? Elle a l’air d’un ange.
Le fils d’Yvette. Laura déglutit. Qu’est-ce que sa sœur lui cachait
d’autre ?
Les yeux de la missionnaire cherchèrent vainement les traces d’une alliance au
doigt de sa sœur. Celle-ci s’était assise sur le rebord d’un vieux fauteuil
défoncé et jouait nerveusement avec ses mains. Comprenant la quête muette de sa
jeune sœur, Yvette croisa les bras. Elle hésita, cherchant à mentir encore, mais
à quoi bon ? se dit-elle. Elle releva la tête en signe de défi.
— Jean, prends tes petits soldats de plomb et va jouer dans la chambre à
maman.
— Mais qui est-ce, la madame ? insista l’enfant.
— C’est personne, une étrangère. Va dans la chambre. Tu touches à rien et tu
fermes la porte. La madame s’en va tout de suite.
Avec étonnement, Laura remarqua qu’Yvette empruntait maintenant l’accent
français. Elle regarda autour d’elle et devina que Jean devait dormir sur le
divan du salon. Il y avait des draps roulés en boule.
— J’en ai pas envie, mère, dit le petit garçon.
— Jean, fais ce que je te dis immédiatement ou…
Yvette leva la main en signe d’avertissement du châtiment corporel qui suivrait
s’il n’obéissait pas à la minute.
Quand l’enfant eut disparu dans l’autre pièce, Yvette se leva et alla prendre
un paquet de cigarettes sur le rebord d’un foyer qui ne semblait pas avoir
fonctionné depuis des lustres. À l’intérieur de l’âtre s’empilaient des cartons,
des bouteilles de vin vides et des journaux.
Avec nervosité, Yvette alluma sa cigarette. Machinalement, elle en offrit une à
sa sœur. La missionnaire leva un sourcildésapprobateur. Yvette
haussa les épaules et se mit à marcher de long en large, ce qui se résumait à ne
faire que quelques pas.
— Comment ça se fait que tu débarques ici ? dit Yvette sur un ton de
reproche.
— Je m’en vais œuvrer en Afrique. Maman m’a donné ton adresse. Elle est
inquiète.
— Tu aurais pu prévenir.
— T’as pas le téléphone… Pis j’étais pas certaine que je pourrais. Qu’est-ce
qui se passe, Yvette ? Entre ce que tu écris dans tes lettres à notre mère et ce
que je vois ici, y a tout un monde !
— Si t’es venue espionner…
— Voyons Yvette, tu dis que tu mènes un train de vie royal, le chant, ta
carrière… Tu
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