Les porteuses d'espoir
vous dire, et c’est déjà trop, c’est qu’il n’y a pas de fumée sans
feu.
— Ah ben ! c’est-y possible ? Une chance que Godbout a pas gouverné le Québec
avec des diseuses de bonne aventure, lui… On aurait peut-être jamais eu le droit
de vote, dit Marie-Ange.
Henry émit un petit ricanement.
— Je ne vois vraiment pas Adélard frotter une boule de cristal.
— Savais-tu ça, François-Xavier, que ce cher Henry, il connaît Adélard
Godbout !
À demi assoupi, François-Xavier, que la conversation n’intéressait pas, fit une
moue d’indifférence. Henry pouvait bien avoir côtoyé le pape !
— J’ai à peine dîné avec lui à quelques reprises.
— Ben oui, pis vous êtes allé dans sa maison des Cantons-de-l’Est.
— Marie-Ange, vous me gênez…
— Pis il a mangé itou avec King, ouais, ajouta-t-elle.
— Seulement une fois, parce qu’un collègue avocat, maître Dandurand, avait
insisté.
— J’en reviens pas que vous connaissiez Adélard Godbout, dit Isabelle avec
admiration.
— Il m’a été présenté par un correspondant de guerre rencontré en Italie. Mais
parlons d’autre chose.
— Ce que j’aimerais, c’est rencontrer Maurice Duplessis... dit rêveusement
Marie-Ange. Quel bon premier ministre ! Pis pas laid en plus.
— C’est ben la première fois qu’un homme trouve grâce à tes yeux, ma
belle-sœur, dit François-Xavier en bâillant.
— Si Henry pouvait devenir ami avec. Il pourrait me le
présenter.
— Marie-Ange, vous connaissez mes sentiments envers Duplessis. Nous ne
partageons vraiment pas les mêmes idées politiques, répliqua Henry.
— Vous avez vraiment plus votre tête de dénigrer mon Duplessis !
— Vraiment, ma chère Marie-Ange, cette soirée est mal choisie pour nous
disputer, dit Henry gentiment.
Marie-Ange émit un involontaire hoquet.
— Oups, j’ai la tête qui tourne un peu, moé.
Elle se rassit et devint silencieuse. Soulagé, Henry se mit à converser avec
Pierre des différents modèles d’automobile et des dernières nouveautés. D’après
ce que François-Xavier comprit de la conversation qu’il suivait, à moitié
endormi sur le divan, son fils Léo, la tête sur ses genoux, les deux amateurs
d’automobile avaient assisté à un Salon de l’auto au printemps dernier. Il
laissa les voix devenir un bruit de fond. Ses pensées se remirent à tournoyer.
Et s’il n’était pas à la hauteur à son nouvel emploi ? Quelle idée d’avoir
laissé Julianna seule à Chicoutimi ! Elle habitait chez Georges pour la semaine,
prenant l’autobus entre Jonquière et Chicoutimi matin et soir, à la recherche
d’une maison. Julianna avait décrété qu’il était temps que la période de froid
entre son frère et elle cesse. Elle était déterminée à commencer une nouvelle
vie sur des bases solides. Et si Georges lui montait la tête contre lui ? Depuis
leur dispute, ils ne s’étaient jamais réconciliés. Julianna avait essayé de lui
tirer les vers du nez, mais il avait été inflexible sur ce point :
— Tu demanderas à ton frère si tu veux. Moi, j’ai rien à me reprocher. Mais il
faut pas lui en vouloir. Après ce qu’il a vécu…
Si Georges le blâmait ? Si… Il tourna son attention vers Mathieu. Son épouse
avait eu raison d’insister pour que leur filsvienne à Montréal.
Déjà, celui-ci semblait plus détendu. Peut-être était-ce également dû au vin de
Marie-Ange, mais si cela le rendait de plus agréable compagnie que prévu,
personne ne s’en plaindrait. Ce n’était pas le boute-en-train de la soirée, mais
au moins il ne gâchait pas tout par ses habituels airs d’ennui. Comme s’il avait
senti le regard de son père posé sur lui, Mathieu se leva et décida d’aller
s’installer au piano. Il resta un moment immobile jusqu’à ce que Marie-Ange lui
demande de jouer. Au salon, on fit le silence, attendant poliment que le
pianiste en herbe se décide. Mathieu leva les mains au-dessus des touches.
— J’ai appelé ce morceau : Le meilleur ami … en mémoire de mon petit
chien Baveux…
Avec détermination, il entama la pièce. François-Xavier fut soulagé que les
notes s’enchaînent pour former un son moins ténébreux qu’il ne l’avait
craint.
Mathieu s’enhardit. Pour une fois, il avait l’impression qu’on l’écoutait,
qu’on le voyait, qu’on l’appréciait.
Weitere Kostenlose Bücher