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Les prisonniers de Cabrera

Les prisonniers de Cabrera

Titel: Les prisonniers de Cabrera Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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lustres.
    Un escalier à moitié écroulé nous conduisit à l’infirmerie où officiait Auguste Murel, promu médecin et chirurgien pour des centaines de malades. La poignée d’infirmiers volontaires dont il disposait passaient plus de temps à jouer aux cartes qu’à s’occuper de leurs patients. Quant à la pharmacopée généreusement fournie par la junte, elle bâillait sur le vide.
    Tandis qu’Auguste faisait sa tournée pour s’informer de l’état de ses patients et parfois leur fermer les yeux, je parcourus cette vaste termitière. Deux à trois salles étaient consacrées au logement de Sa Majesté Burguillos I er . Visite interdite ! Elles étaient gardées jour et nuit par deux soldats. Lorsque je m’approchai, avec l’idée de négocier l’achat d’un ou deux cigares, ils croisèrent les baïonnettes et me lancèrent :
    — Fous le camp, chien de Français !
    Rien, dans ce champ de ruine, qui pût retenir mon attention. Assis sur un monceau de boulets de pierre, ruminant mes nostalgies tabagiques, je laissai mes membres se détendre à l’ombre d’un cactus géant.
    Alors qu’en attendant le retour d’Auguste je sombrais dans la somnolence, une scène que je croyais oubliée me revint en mémoire avec une bouffée de fraîcheur.
    La veille de mon départ aux armées, la tête pleine de vols d’aigles, j’avais accompagné Juliette à la Vierge de Fournet, un lieu de pèlerinage dominant la vallée de la Couze, à quelques minutes de mon château. Nous avions fait cette promenade à pied, sous les noisetiers, main dans la main, dans la première chaleur de l’été.
    La statue de la Vierge se dresse sur une avancée de roche, face aux falaises formant la frontière du causse périgourdin. La vue est agréable : une petite rivière bordée de peupliers et de vergnes, des moulins, des fermes isolées, le village de Saint-Cernin et, au loin, les premières maisons de Larche…
    Au pied de la Vierge, j’ai dû promettre à mon épouse de maîtriser mes ardeurs guerrières et de lui revenir vivant et indemne. Que ne lui aurais-je pas promis ? Elle était, avec notre petit Eugène, le seul être qui comptât pour moi.
    Avant de quitter mon domaine de Puymège, j’ai effectué un autre pèlerinage, voué celui-ci à l’amitié, dans les résidences de mes amis de Puybaret, de Mauriolle et de Lissac.
    Pour pallier les adieux, que je déteste, je suis parti avant l’aube, alors que ma femme et mon fils dormaient encore.
     
    Dans le soir tombant, sous un grand brassage de nuages flamboyants, Auguste et moi retournions à la Malmaison quand une odeur atroce nous parvint. Des prisonniers, tapis dans un creux de ravin, étaient occupés à jeter des cadavres sur un bûcher, les confier à la mer étant interdit par le gouverneur par mesure de salubrité.
    Au détour d’un sentier qui chemine au-dessus du refugio de los Pescadores, j’interrompis ma marche et m’exclamai :
    — Nom de Dieu, Auguste, dis-moi que je ne rêve pas !
    Je venais d’apercevoir, avançant vers nous, une grande femme entièrement nue, brune comme une Sarrazine, coiffée d’un large chapeau de joncs tressés, et qui chantonnait  J’ ai du bon tabac . Elle menait à la bride un âne sur lequel était juché un garçonnet.
    — Non, me souffla Auguste, tu ne rêves pas.
    Il attendit que la créature fût proche de nous pour la saluer et faire des présentations un peu trop cérémonieuses à mon goût, comme si nous nous trouvions dans les allées du bois de Boulogne :
    — Madame Daniel… Le capitaine aide de camp Laurent de Puymège…
    Alors que je ne savais où porter mon regard, je l’entendis me lancer, d’une voix joyeuse :
    — Ravie de te rencontrer, capitaine Puymège. J’ai déjà entendu parler de toi. On dit que tu te rends utile à notre communauté. Excuse ma tenue ! Mes vêtements sont à la blanchisserie et on tarde à me les livrer. Il me reste ceux que le bon Dieu m’a donnés…
    Auguste, qui était au courant de tout, m’apprit que madame Daniel, vivandière de la division Barbou, prisonnière à Baylen, était une femme exceptionnelle, toujours prête à rendre service à son prochain. En raison de sa tenue plus que légère, on lui avait donné le sobriquet de Mère-au-Vent. Son compagnon, lieutenant de hussards, ayant été tué dans une charge contre l’infanterie de

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