Les proies de l'officier
à bloquer la poignée. Un instant plus tard, celle-ci remua plusieurs fois, mais, son mouvement étant entravé, elle ne put libérer le pêne. Des mains tapaient frénétiquement contre la porte tandis que la poignée continuait à s’agiter inutilement. Les barreaux aux fenêtres condamnaient toute autre issue. Des gens criaient et suppliaient en italien. Il y eut un bruit terrible quand la toiture s’effondra, aussitôt suivi de hurlements. Des hurlements épouvantables qui résonnaient comme une mélodie à ses oreilles. L’homme imagina leurs corps. Il vit les flammes galoper sur leur peau, la faire rougir et la couvrir de cloques. Il devina les cheveux et les vêtements s’embrasant d’un même élan et les bouches et les trachées se remplissant de feu lors des ultimes inspirations. Il entendit les cris de douleur de ceux qui se changeaient en torches humaines et, enfin, le bruit sourd de la chute des corps. Il inhala l’odeur de chair brûlée. Elle le grisa comme un alcool fort. Il pensa aux corps carbonisés, rétrécis par la combustion des tissus et l’évaporation de leur eau. Il aurait voulu ouvrir la porte pour contempler ces cadavres recroquevillés et noirs comme des bouts de charbon, mais il craignait de recevoir une tempête de flammes en plein visage du fait de l’appel d’air. Il enfila l’un de ses gants pour récupérer son fourreau brûlant et se remit en chemin.
Ses pas se laissaient guider par les cris de souffrance. Il aperçut un homme sortant d’une maison qui n’était déjà plus qu’un tourbillon de flammes. C’était l’un des rares habitants à être resté. Celui-ci tapait précipitamment les manches de sa chemise pour éteindre les débris incandescents qui les parsemaient. Il sourit, croyant que l’on venait à son aide. La stupéfaction se peignit sur son visage lorsqu’il vit le pistolet et qu’on lui indiquait la maison, du canon de l’arme. On voulait... qu’il y retourne. Il leva les mains en signe de soumission et se déplaça lentement sur le côté pour signifier qu’il allait partir sans embêter personne. La balle le frappa en pleine poitrine. Deux sentinelles, qui avaient assisté à la scène, accoururent, le fusil dans les bras.
— C’était un incendiaire. C’est lui qui a mis le feu à ce pavillon, leur déclara d’emblée l’officier.
Les soldats saluèrent et repartirent. L’homme poursuivit son parcours, à l’affût de chaque occasion qui lui permettrait de jouir du carnage. Au bout d’un moment, même l’incendie de Moscou ne suffit plus à épancher sa soif de sang. Alors il voulut à nouveau croire en Dieu pour pouvoir croire au diable. Il imagina qu’il était en enfer. Les bruissements et les crépitements étaient causés par la mastication de gigantesques créatures qui dévoraient les damnés. Il se figurait des monstres les plus hideux possibles, dignes des discours des prêtres aux croyances rigides. Des vers annulaires cyclopéens enchevêtrés les uns dans les autres, des gueules fourmillant de tentacules qui saisissaient les fuyards, des yeux de mouches dont les mille facettes réfléchissaient des visages hurlants, des bouches garnies de rangées de crocs qui brisaient les hommes... Il voyait des ombres aux tailles insensées se vautrer dans les brasiers les plus intenses, écrasant sous leur poids des quartiers entiers. D’autres vers, couverts de protubérances, se hissaient péniblement hors d’une gigantesque faille qui plongeait au plus profond des abysses infernaux, là où tout était incommensurablement pire qu’ici. Ce qui existait dans le secret de cet abîme dépassait le médiocre entendement humain. L’homme fit quelques pas en direction de ce gouffre. Il voulait s’y jeter. Mais la chaleur devint trop intense et l’obligea à battre en retraite. Il se mit alors à la recherche de rues attaquées par les flammes, mais dans lesquelles il serait encore possible de se déplacer. La nuit était encore jeune. Il allait avoir d’autres occasions de voir mourir et de tuer.
27.
Moscou brûla pendant quatre jours. La ville fut détruite à plus de quatre-vingts pour cent. Vingt mille personnes périrent dans les flammes.
Margont et ses compagnons s’étaient établis dans un faubourg relativement épargné. Margont décida de retourner à son premier logement dans l’espoir de récupérer des affaires. Il se perdit plusieurs fois dans ce paysage apocalyptique. Les éboulements avaient barré
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