Les Rapines Du Duc De Guise
emprunta un passage et se pressa jusqu’à une échelle
conduisant à une sombre galerie d’étage. Il la grimpa quatre à quatre et
attendit quelques minutes, puis redescendit par un autre couloir qui débouchait
rue de la Monnaie. De là, il emprunta un nouveau corridor en planches qui, à
travers un pâté de maisons, le conduisit presque devant le Grand-Châtelet. Certain
d’avoir égaré n’importe quel suiveur, il traversa la cohue devant les étals de
la Grande boucherie puis s’engagea dans la rue de Saint-Germain-l’Auxerrois. En
passant, il jeta un œil à la maison de La Chapelle et, arrivé en vue de l’église
et du cloître, il remonta vers la rue Saint-Honoré.
Au coin de la rue des Petits-Champs, il
attendit encore un moment en se dissimulant dans le renfoncement d’une porte
cochère. Enfin, assuré d’avoir déjoué toute filature, il se dirigea jusqu’au
porche de l’hôtel de François de Richelieu.
On attendait sa visite et un valet le
conduisit immédiatement chez le Grand prévôt qui était à table avec un inconnu
richement vêtu d’un pourpoint en satin doublé de serge rouge, avec des crevés
aux manches laissant voir une chemise brodée. Sous son pourpoint apparaissait
un collet [43] en buffletin noir. Ses bottes à éperons d’or lui montaient jusqu’au
haut des cuisses et ses hauts-de-chausses de velours cramoisi étaient assortis
à la doublure de son habit. Il avait gardé sur ses épaules un manteau court
doublé au col et bordé de passements de soie. Son chapeau était rond à petits
bords et sa taille était ceinte d’une épée de côté à la garde en arceaux et au
fourreau en argent.
— Monsieur Poulain ! Je craignais
que vous n’ayez eu mon billet que trop tard. Puis-je vous proposer de vous
joindre à nous ? s’exclama Richelieu presque jovialement.
Affamé et flatté d’être invité à la table du
prévôt avec cet inconnu dont on ne pouvait douter qu’il fût quelque grand
seigneur, Nicolas accepta. Le valet de service, qui attendait, lui servit
sur-le-champ une fricassée de bécasses et lui porta un grand verre de vin de
Beaune avant de se retirer. M. du Plessis et l’inconnu, qui avaient déjà
terminé leur repas, le regardèrent se jeter sur ses volailles avec avidité.
— Vous aviez faim, remarqua Richelieu
avec amusement.
— Je suis rentré chez moi pour dîner tout
à l’heure, monsieur, et, ayant trouvé votre billet, je suis venu sans perdre de
temps.
Il n’osa pas en dire plus, se demandant qui
était l’inconnu. En découpant une des bécasses avec ses doigts, il l’examinait
discrètement. Trente à quarante ans, jugea-t-il. Les cheveux drus et noirs. Un
air d’autorité, avec un regard perçant qui traduisait un homme cassant mais
sans doute à l’esprit fin et calculateur.
— Je ne vous ai pas présentés, poursuivit
Richelieu sur un ton absent. Monsieur est le marquis d’O.
Poulain resta interdit, arrêtant même de
mastiquer. François d’O ! L’ancien favori du roi, en disgrâce depuis des
années ? Que faisait-il là ? L’idée d’un nouveau complot l’effleura.
— M. d’O est ici au service du roi, comme
vous, et il sait tout sur vous. Comment vous avez infiltré cette ligue rebelle
qui se nomme la sainte union, et comment vous êtes devenu mon espion. Nous ne
sommes que trois à savoir cela : Moi, M. d’O, et Sa Majesté. Vous
pouvez donc lui faire confiance.
À ces mots, Poulain s’était raidi. M. d’O
savait qu’il espionnait la sainte union, alors même qu’il avait été chassé de
la cour pour ses débauches ! Le Grand prévôt était-il devenu fou ?
O s’amusait de voir l’ahurissement, puis l’incompréhension,
et enfin la peur se succéder sur le visage du lieutenant du prévôt.
— Vous avez vos secrets, monsieur Poulain,
et j’ai les miens, dit-il enfin d’une voix grave. Mais puisque je connais les
vôtres, je vais vous faire une confidence. Elle se résume ainsi : Comédie !
Poulain resta interloqué.
— Vous avez bien compris : Comédie !
Je n’ai été disgracié que par ma propre volonté et en accord avec Sa Majesté. Ainsi
chassé, j’ai pu me rapprocher de M. de Guise et de ses amis… comprenez-vous ?
Il resta silencieux un instant avant de dire, très
lentement :
— Il fallait bien que le roi sache ce que
les Lorrains préparaient contre lui.
Nicolas Poulain comprit aussitôt, O était un
espion, comme lui !
D’abord déconcerté
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