Les refuges de pierre
l’est-elle, ou peut-être est-ce un peu de l’esprit
de ton frère, répondit-elle.
Ayla prit conscience de la chaleur de la main de Jondalar et
de la pierre pressée contre sa paume. La chaleur s’accrut, pas assez pour la
gêner, assez pour qu’elle s’en aperçoive. Était-ce l’esprit de Thonolan qui
essayait d’attirer son attention ? Elle regretta de ne pas l’avoir connu.
Tout ce qu’elle avait entendu dire de lui, depuis son arrivée, indiquait qu’il
avait été très estimé. Dommage qu’il fût mort si jeune. Jondalar avait souvent
répété que c’était Thonolan qui avait envie de voyager. Lui-même n’avait
entrepris le Voyage que parce que son frère partait... et parce qu’il ne
voulait pas vraiment s’unir à Marona.
— O Doni, Grande Mère, aide-nous à trouver le chemin de l’autre
côté, de Ton monde, ce lieu situé au-delà et cependant à l’intérieur des
espaces invisibles de ce monde-ci. Comme la lune expirante enserre la nouvelle
lune dans ses bras minces, le Monde des Esprits, de l’inconnu, tient ce monde
du tangible, de chair et d’os, d’herbe et de pierre, dans une étreinte que nul
n’entrevoit. Mais avec ton aide, on peut le voir, on peut le connaître.
Ayla entendit la supplique, chantée en une étrange psalmodie
étouffée par la femme obèse. Elle commençait à se sentir étourdie, bien que le
mot ne rendît pas tout à fait compte de ce qu’elle éprouvait. Elle ferma les
yeux, se sentit tomber. Quand elle les rouvrit, des lumières palpitaient à l’intérieur.
Elle n’y avait pas vraiment prêté attention en admirant les animaux, mais elle
se souvenait d’avoir distingué également des signes et des symboles sur les
parois de la grotte, et certains d’entre eux surgissaient maintenant dans ses
visions, qu’elle eût les yeux ouverts ou fermés. Elle avait l’impression de
choir dans un trou profond, dans un long tunnel sombre, et elle résistait, elle
luttait contre cette impression.
— Ne résiste pas. Laisse-toi aller, lui conseilla la doniate.
Nous sommes tous avec toi. Nous te soutiendrons, Doni te protégera. Laisse-La t’emporter
où Elle le veut. Écoute la musique, laisse-la t’aider, dis-nous ce que tu vois.
Ayla plongeait dans le tunnel la tête la première, comme si elle
nageait sous l’eau. Les murs du tunnel, de la grotte, se mirent à chatoyer puis
parurent se dissoudre. Ayla voyait à travers eux, en eux ; elle découvrit
une prairie et, au loin, de nombreux bisons.
— Je vois des bisons, dit-elle, un troupeau immense sur une
vaste plaine.
Un moment, les murs se solidifièrent de nouveau mais les bisons
restèrent. Ils recouvraient les parois là où il y avait eu les mammouths.
— Ils sont sur les murs, peints en rouge et en noir, avec
la forme voulue. Ils sont beaux, parfaits, pleins de vie, comme Jonokol les a
représentés. Vous ne les voyez pas ? Regardez, là-bas.
Les murs fondirent de nouveau ; elle voyait en eux, à
travers eux.
— Ils sont dans une plaine, tout un troupeau, ils se
dirigent vers l’enceinte... Non, Shevonar ! Non ! s’écria-t-elle
soudain. Pas par là, c’est dangereux !
Puis, avec tristesse et résignation :
— C’est trop tard. J’ai tenté tout ce que j’ai pu pour le
sauver.
— La Mère voulait un sacrifice pour que les hommes
comprennent qu’eux aussi doivent quelquefois faire don d’un des leurs, dit la
Première, qui était là-bas avec Ayla. Tu ne peux plus demeurer ici, Shevonar.
Tu dois retourner à la Mère, maintenant. Je t’aiderai. Nous t’aiderons. Nous te
montrerons le chemin. Viens avec nous, Shevonar. Oui, il fait sombre, mais ne vois-tu
pas la lumière devant ? Une lumière éclatante ? Va dans cette
direction. La Mère t’attend là-bas.
Ayla pressa la main chaude de Jondalar. Elle sentait auprès d’eux
la forte présence de Zelandoni et celle d’une quatrième personne, la jeune
femme à la main molle, Mejera, mais elle était ambiguë, sans consistance. Elle
se manifestait de temps à autre avec vigueur puis retombait dans l’incertitude.
— Le moment est venu, reprit la doniate. Va rejoindre ton
frère, Jondalar. Ayla peut t’aider, elle connaît le chemin.
Ayla sentit la pierre qu’ils tenaient dans leurs mains et pensa
à la magnifique facette d’un blanc bleuté piqueté de points rouges. La pierre
grandit jusqu’à remplir tout l’espace autour d’elle, et Ayla y plongea. Elle
nageait si vite qu’elle volait.
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