Les révoltés de Dieu
créations émanées du démiurge lui-même, que
ce soit à l’aide de végétaux ou à l’aide d’argile. Si l’on admet que Lilith a
été – symboliquement, bien sûr – la première femme, comment expliquer cette
naissance hors des normes sexuelles ? La psychanalyse a souvent débattu de
ce problème : « Avec qui Lilith fait-elle l’amour ? Cela ne peut
être qu’avec Dieu, et dans ce sens, Lilith aurait précédé Adam. Peut-être alors
peut-on aller plus loin […]. Dieu créa l’homme à son image, entre autres avec
un pénis tout comme lui. L’image de Dieu, image humaine, ne naît-elle pas de sa
séparation avec sa partie féminine, découvrant ainsi, selon le mythe
platonicien, son sexe [41] . Lilith à queue de
serpent, […] image androgyne du Dieu Primitif, celui qui existait auparavant, certes
tout-puissant mais par là même inexistant car ignorant le désir [42] . »
Mais si vraiment Lilith est l’image de la forme châtrée du
démiurge Yahvé – alors qu’Ève n’est que la forme châtrée de l’homme Adam –, on
peut en conclure qu’en Lilith se trouve une moitié de la puissance divine
primitive, ce qui n’est pas le cas chez Ève, la seconde femme, issue de l’homme.
Ève est la femme muette . Lilith est la femme réelle , celle qui peut traiter avec Dieu parce
qu’elle connaît son nom ineffable. Mais, à cause de son audace, elle a été
rejetée dans les ténèbres des déserts, c’est-à-dire au plus profond de l’inconscient,
et elle est donc invisible. Pourtant, lorsque la femme muette se révolte et se
met à parler, elle abandonne son aspect d’Ève et s’empare de celui de Lilith, qui
était toujours présent en elle. C’est le sens qu’il est possible d’attribuer à
la désobéissance d’Ève mangeant le fruit de l’arbre de la Connaissance, surtout
si l’on considère la représentation qui a été faite du serpent sur les portes
de l’église de Mauron. Quant à Blodeuwedd, création directe du démiurge, même
si elle est littéralement donnée à un homme pour être en fait son esclave, elle
porte dans son essence même tous les germes de la révolte. Et le fait qu’elle
soit occultée ne change rien à son énergie mystérieuse, beaucoup plus divine qu’humaine.
Car Lilith rôde toujours dans l’inconscient humain, sous
forme de fantasme ou de simple réminiscence d’un état antérieur. C’est pourquoi
on l’a considérée comme dangereuse et « diabolique », c’est pourquoi
on en a fait une sorte de « Notre-Dame de la Nuit », pour ne pas dire,
selon l’expression anglaise qui signifie « cauchemar », nightmare , une « jument de nuit », monstre
féminin nocturne toujours prêt à surgir de l’ombre et à inciter les existants , hommes ou femmes, à se révolter contre la
Loi divine.
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Adam et Ève
La plus célèbre de toutes les révoltes contre Dieu est incontestablement
celle d’Adam et Ève au Paradis terrestre. C’est une transgression majeure d’un
interdit fondamental, à partir de laquelle on explique, ou plutôt on justifie , les misères de la condition humaine, en
portant d’ailleurs l’accent sur la responsabilité de la femme dans cette
affaire. Or, en première analyse, personne ne peut être tenu pour unique
responsable d’un acte aussi exceptionnel que lourd de conséquences. En effet, lorsque
Yahvé-Adonaï demande à Adam ce qu’il a fait, celui-ci répond qu’il a mangé le
fruit défendu sur l’incitation d’Ève, ce qui est une façon de diminuer, sinon
de rejeter sa responsabilité individuelle. C’est la fameuse phrase tant de fois
répétée au cours des siècles sous les formes les plus diverses : « Ce
n’est pas moi, c’est l’autre. » Or Ève agit de même en prétextant que c’est
le serpent qui l’a induite au « péché ». Et quand Yahvé-Adonaï maudit
le serpent, celui-ci ne répond rien. Pourquoi ? Parce que lui sait : Yahvé-Adonaï, qu’il soit créateur ou
simplement démiurge, est omniscient, donc ne peut se tromper, et s’il y a eu
transgression, c’est qu’il le savait et que cette
transgression était voulue dès la création de l’univers et de tous les existants qu’il renferme. Le problème soulevé ici n’est
pas seulement « moral », introduisant dans la conscience humaine la
notion de « péché » par désobéissance ou par orgueil, il est aussi « théologique »
car il met en cause la toute-puissance de la divinité des
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