Les Roses De La Vie
me jugeant et me jaugeant, une patte en avant et l’autre déjà sur le
recul, point outrecuidant, mais point timide non plus. Un homme, en bref, dont
la seule vanité visible me parut être la dorure de son carrosse, à moins que ce
fût là une exigence de sa défunte épouse, à laquelle, las d’être becqueté, il
avait fini par céder. Il se découvrit davantage quand, le repas fini, je
l’emmenai dans mon cabinet et lui fis prendre place sur une chaire à bras en
face de moi pour l’entretenir au bec à bec. Pour dire le vrai, je ne l’entretins
pas de prime. Puisque c’était lui qui avait demandé à me voir et non l’inverse,
je me contentai de l’envisager d’un air courtois et interrogateur.
Monsieur de Peyrolles m’entendit à merveille, et ayant une
grande habitude, par la charge qu’il avait remplie, des négociations délicates,
me fit d’abord un salut auquel je répondis tout de gob par un salut à quelques
degrés près le frère du sien. Après quoi, il commença tout un petit discours,
sa voix se maintenant dans les notes basses et retenues.
— Monsieur le Comte, dit-il, soyez bien assuré que je
serai excessivement heureux si un lien, par le moyen de l’union qui est
projetée, se pouvait créer entre Orbieu et Peyrolles (mettant ainsi mon domaine
et Peyrolles sur le même pied, ce qui me parut quelque peu outré.) D’autant,
poursuivit-il, que je nourris pour Monsieur de Saint-Clair une estime
particulière en raison des talents et des vertus qui brillent en lui. D’un
autre côté, étant veuf, je serais fort heureux que mon unique fille puisse
s’établir si près de moi et continue d’être, demeurant si proche, la joie et la
consolation de mes vieux jours.
Ayant ainsi sacrifié avec décence aux affections humaines,
Monsieur de Peyrolles entra alors dans le vif et le fort du sujet.
— Toutefois, dit-il, sa voix devenant plus haute et
mieux articulée, il y a dans cette affaire quelque difficulté. Je donne à ma
fille une dot de cent mille livres, dot qui, à cette hauteur, lui permettrait
d’épouser un prétendant en possession d’une charge importante, disons un
conseiller au Parlement ou un maître des comptes. Laquelle charge, avec un peu
d’adresse, lui pourrait rapporter annuellement, je dis bien, annuellement, une
somme à peine inférieure de moitié à la dot de ma fille. J’entends bien que
Monsieur de Saint-Clair touche de vous un pourcentage sur les profits de votre
domaine, mais c’est un revenu aléatoire et qui, en tout état de cause, ne peut
atteindre celui que je viens de dire.
— Cependant, dis-je, Monsieur de Saint-Clair vient
d’une noble et ancienne famille.
— Laquelle je respecte grandement, dit Monsieur de
Peyrolles avec un autre de ses saluts. Mais, par malheur, Monsieur de
Saint-Clair est sans titre. Et c’est pitié, car son père qui était lieutenant
aux gardes d’Henri IV est passé fort près de recevoir des mains du feu roi
un tortil de baron.
— Mais, Monsieur, dis-je, béant, comment l’avez-vous
appris ? Et comment cela s’est-il fait ?
— Monsieur de Saint-Clair a bien voulu me communiquer
les papiers qui établissaient sa noblesse et, dans ces papiers, se trouve une
lettre d’Henri IV à son père, pieusement conservée. Dans cette lettre, le
feu roi le louait de sa vaillance sous Monsieur de Vic, quand celui-ci repoussa
pendant le siège de Paris une attaque par surprise du chevalier d’Aumale sur
Saint-Denis.
— Monsieur, dis-je au comble de l’étonnement, avec
quelle émerveillable modestie s’est conduit Monsieur de Saint-Clair ! Il
ne m’a jamais parlé de cette lettre, alors que tant d’autres, à sa place,
l’auraient paradé à la ronde.
— Monsieur le Comte, voulez-vous la lire ? dit
Monsieur de Peyrolles qui, sans attendre ma réponse, la tira d’un grand
portefeuille en cuir noir et me la tendit.
Je saisis avec respect ce document et aussitôt, mon œil alla
chercher au bas du texte la signature de notre Henri que bien je connaissais pour
lui avoir servi de truchement dans ses dépêches aux royaumes étrangers. Il n’y
avait pas à s’y tromper. C’était bien sa griffe, hardie et rapide. Et le texte
qu’il avait sans doute dicté en marchant de long en large portait aussi sa
marque, étant empreint de ce ton inimitable de rude familiarité qu’il aimait
prendre pour parler à ses soldats :
« Brave
Saint-Clair,
« J’ai appris de Monsieur de Vic que tu
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