Les Roses De La Vie
lieutenant de Saint-Clair, lui promettant pécunes et
baronnie quand il reviendrait à son régiment des gardes, guéri de ses
blessures.
— D’Orbieu, me dit Louis, sans montrer autrement que
par un frémissement de ses paupières l’émeuvement que la lecture de cette
lettre avait provoqué en lui, dites au fils de ce vaillant officier que ce
n’est pas à la légère que je veux être appelé Louis le Juste.
Et appelant le président Jeannin qui, étant vieil et mal
allant, sortait le dernier et à petits pas du Conseil, il lui dit :
— Monsieur le Surintendant, baillez cent mille livres à
Monsieur de Saint-Clair pour qu’il s’achète une terre que j’érigerai en
baronnie. Le comte d’Orbieu vous dira le reste de mes intentions.
Le président Jeannin qui m’avait en bonne amitié pour la
raison que je l’oyais toujours avec la plus grande attention, son expérience
étant si vaste, se montra aussi expéditif que son maître. Dans les huit jours,
Saint-Clair reçut ses pécunes et moins d’un mois plus tard, il devint baron des
Esparres, ayant acheté une terre qui portait ce nom et qui, sans être voisine
d’Orbieu, se trouvait assez commodément proche pour qu’il pût la ménager en
même temps que la mienne. Monsieur de Peyrolles, à qui j’écrivis aussitôt, me
répondit une lettre cérémonieuse et farcie de citations latines dans laquelle
il m’apprenait incidemment, et sans paraître y toucher, qu’il portait la dot de
sa fille à cent vingt-cinq mille livres. Le bonhomme dépassait donc de son
proche chef le bargouin que je lui avais proposé et grandement me plut cette
libéralité venant d’un homme qui savait tenir ses comptes. Toutefois, le
mariage ne put se faire aussi tôt que le couple l’eût souhaité car je ne pus
m’absenter du service de Sa Majesté avant un mois.
Je n’eus guère le temps, en effet, de me réjouir de
l’heureuse issue de cette affaire car la Cour apprit que le huit novembre 1621,
l’armée bavaroise de la Sainte Ligue catholique avait écrasé, au lieu dit
« La Montagne Blanche », l’armée des Luthériens de Bohême. C’était là
un événement de grande conséquence, et point seulement pour la Bohême et
l’Électeur palatin qu’elle avait choisi pour roi, mais pour les princes
protestants d’Allemagne, le Danemark, l’Angleterre, les Provinces-Unies, la
Suisse, la Savoie, la République de Venise, la France et tous ceux qui, peu ou
prou, subissaient, ou craignaient, l’appétit de conquête des Habsbourg en
Europe.
Le lecteur, sans doute, se ramentoit ce que je lui ai conté
en le chapitre V de ces Mémoires touchant la défenestration de Prague
commise par les Luthériens sur les personnes des gouverneurs impériaux et
royaux le vingt-trois mai 1618. Cette violence, toutefois, n’était pas dirigée
seulement contre l’empereur Mathias, coupable, aux yeux des Pragois d’être
revenu sur les concessions faites aux protestants d’Allemagne par l’empereur
Rodolphe, mais contre le roi qu’il avait fait élire à la tête de la Hongrie et
de la Bohême, son propre neveu, l’archiduc Ferdinand, gouverneur de la Styrie.
Ferdinand, élève des Jésuites d’Ingolstadt et farouche
partisan de la Sainte Ligue catholique, avait éradiqué le protestantisme dans
son gouvernement de Styrie, à tout le moins dans le Tiers État, n’osant encore
s’attaquer aux nobles de la religion réformée. Aux yeux de la Ligue
évangélique, il apparaissait donc comme le plus mauvais candidat possible à
l’Empire et, par malheur, son élection ne faisait pas le moindre doute.
Ce qui paraît compliqué à un gentilhomme français dans les
affaires d’Allemagne, c’est que ce grand pays n’est point un royaume à la
française ou à l’anglaise, mais apparaît comme une confédération de comtés, de
duchés et de royaumes dont les chefs, à tout le moins ceux qui avaient accédé à
la dignité de Grands Électeurs, élisaient dans leur sein le nouvel empereur à
la mort de l’empereur régnant. Le collège des Grands Électeurs comprenait
seulement sept membres : trois ecclésiastiques, les évêques de Mayence, de
Cologne et de Trêves, et quatre laïcs, le duc de Brandebourg le duc de Saxe, le
roi de Bohême et le comte palatin.
On voit par là que pour être élu empereur par ce collège, il
suffit de quatre voix. Or, il est de fait que Ferdinand, à la mort de Mathias,
et avant même que les Grands Électeurs se réunissent le
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