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Les Roses De La Vie

Les Roses De La Vie

Titel: Les Roses De La Vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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reconnu roi de France, n’oublia pas
pour autant les petites couventines. Il les fit l’une et l’autre abbesses, ce
qui témoignait davantage de sa personnelle gratitude que d’un souci
d’édification. Mais en cette fin de siècle, on était loin, bien loin encore,
des austérités exemplaires de Port-Royal et de Mère Angélique…
    Dès mon retour de Lesigny-en-Brie, je quis et obtins du roi
la liberté de partir pour mon domaine d’Orbieu afin d’y pouvoir bailler à mes
manants le signal de la vendange en vendangeant moi-même mes propres vignes.
Or, deux jours avant mon département, mon père apprit qu’un conseiller au
Parlement de Paris qui avait une terre près de Montfort l’Amaury avait été
impiteusement robé et tué sur le chemin de Paris à Montfort par une bande de
caïmans qui, selon la rumeur, n’en étaient pas, en ces alentours, à leur premier
exploit. Sur le conseil paternel, j’engageai, pour mon propre voyage, une
demi-douzaine de Suisses, tous arquebusiers, ce qui, avec Pissebœuf,
Poussevent, La Barge, Robin et le géantin cocher Lachaise (que mon père me
prêta aussi), me fit une escorte montée et armée assez forte pour décourager
une embuscade. Je voyageai, quant à moi, dans mon carrosse, avec quatre
pistolets et Louison, à qui j’enseignai à les charger et qui l’apprit en un
tournemain, étant vive et frisquette. En cas d’attaque, moi tirant et elle
rechargeant, je comptais faire sur les assaillants un feu roulant de
mousqueterie.
    Ma soubrette, que l’éloignement de Madame de Lichtenberg
avait comblée d’aise, ne se sentait plus de joie à l’idée de faire le voyage
seulette avec moi dans mon beau carrosse armorié, « tout comme si j’étais
votre comtesse, Monsieur le Comte », dit-elle en s’empourprant. Elle mit
pour l’occasion ses plus beaux affiquets et osa, pour la première fois, revêtir
un vertugadin et non le cotillon qui eût convenu à son état. Ce qu’au départir
de notre hôtel parisien, notre maggiordomo Franz envisagea avec
désapprobation, nos autres chambrières, avec dérision et mon père avec
indulgence. « Après tout, me souffla-t-il à l’oreille, si elle se dévêt
pour vous, pourquoi, au sortir de vos bras, ne se vêtirait-elle pas à sa
guise ?… »
    Je m’aperçus, quand elle s’assit à mes côtés, qu’elle
portait, à une boucle de son corps de cotte, sans doute pour défendre sa vertu
contre les caïmans, un mignon poignard que je lui avais donné, mais plus pour
la montre que pour l’usage. Je lui dis en riant que ce n’était point
d’ordinaire avec ces armes-là que son gentil sesso s’en prenait à nos
tant faibles cœurs. Mais le voyage étant longuissime, vent et pluie s’avérant
contraires, elle me montra bien qu’elle savait aussi user des armes féminines,
me comblant de tous les enchériments que lui dictaient son bon naturel, son vif
plaisir de me plaire et la nouveauté du lieu.
    Gentille fille qu’elle était (sauf avec d’autres filles),
babillarde et gaie, non sans finesse aussi, elle savait, me voyant partir dans
mes songes, qu’il fallait garder bouche close. Et en ce voyage, je songeai
beaucoup.
    Je ne ressentais pas de l’absence de ma Gräfin autant
d’affliction que j’eusse cru de prime. La différence d’âge et de nation qu’il y
avait entre nous, sa raideur huguenote, son étrange conviction d’énoncer la
vérité dès qu’elle ouvrait la bouche, la nature parfois escalabreuse de sa
société, ses exigences et ses hauteurs, et, par-dessus tout, la vétilleuse comptabilité
qu’elle faisait de ses griefs envers moi, tout cela me donnait souvent de
l’humeur et exerçait ma patience davantage que mon affection. Avec son
partement, cessait aussi le malaise que j’ai dit et qui me prenait souvent de
tromper l’une avec l’autre.
    Le voyage fut sans embûche. Même au départir, j’étais bien
assuré au demeurant que toutes précautions ayant été prises, nous ne serions
pas attaqués sur le chemin par les caïmans, l’étalage de la force en évitant
l’emploi. Car ces sortes de brigands aiment le meurtre et la picorée, mais
fuient la bataille et ne s’attaquent qu’à de faibles proies. Et pour moi,
Louison à mes côtés, qui était si douce à vivre, je ressentais un profond
bonheur au fur et à mesure que nous approchions d’Orbieu. J’allais retrouver ma
première possession terrestre, mon château bien-aimé, mes forêts ombreuses, mes
tendres

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