Les Seigneurs du Nord
les
hommes m’aiment, dit Guthred.
— Ils t’aiment déjà, mais ils doivent
aussi te craindre.
— Me craindre ?
L’idée ne lui plaisait pas.
— Tu es un roi.
— Je serai un bon roi, s’anima-t-il.
Au même instant, Tekil et ses hommes nous
attaquèrent.
J’aurais dû m’en douter. Huit hommes bien
armées ne traversent pas tout un pays pour se joindre à une armée de gueux. Ils
avaient été envoyés, et non par quelque Dane du nom d’Hergild d’Heagostealdes. C’étaient
des hommes de Kjartan le Cruel, qui, furieux que j’aie humilié son fils, avait
dépêché des hommes chercher le guerrier mort. Il ne leur avait pas fallu bien
longtemps pour découvrir que nous avions suivi le mur romain. Et maintenant que
Guthred et moi nous étions éloignés par une belle journée jusqu’au fond d’un
petit vallon, les huit hommes venaient d’apparaître sur la rive, l’épée au
poing.
Je parvins à dégainer Souffle-de-Serpent, mais
Tekil l’écarta d’un coup pendant que deux autres me frappaient, me repoussant
dans le torrent. Je me battis, mais mon bras droit était bloqué. Un homme me
tenait sous son genou, tandis qu’un troisième me maintenait la tête dans la
rivière. J’étouffai en sentant l’eau envahir ma gorge, puis tout devint noir. Je
voulus crier, n’y parvins pas, puis on me prit Souffle-de-Serpent et je perdis
les sens.
Je repris mes esprits, sur l’îlot, avec
Guthred, encerclé par les huit hommes qui pointaient leurs épées sur nous. Tekil
écarta sa lame avec un sourire narquois et s’agenouilla près de moi.
— Uhtred Ragnarson, dit-il, je crois que
tu as croisé Sven le Borgne il n’y a guère de temps. Il t’envoie son salut. (Je
ne répondis pas.) Tu as Skidbladnir dans ta bourse, peut-être ? Et
tu comptes t’échapper et retourner au Niflheim ?
Je restai coi. J’avais du mal à respirer, et
je continuais à cracher de l’eau. J’aurais voulu me battre, mais une épée était
pointée sur mon ventre. Tekil envoya deux hommes chercher les chevaux, mais il
en restait tout de même six.
— C’est dommage, reprit-il, que nous n’ayons
pu prendre ta putain. Kjartan la voulait. (Je tentai de rassembler mes forces
pour me relever, mais l’homme qui me gardait enfonça un peu son épée et Tekil
se contenta de rire. Il défit ma ceinture et la souleva, puis il tâta ma bourse
et sourit en entendant tinter les pièces.) Nous avons une longue journée, Uhtred
Ragnarson, et nous ne voulons pas que tu nous échappes. Sihtric !
Le garçon, le seul à ne pas porter de
bracelets, s’approcha, l’air mal à l’aise.
— Seigneur ?
— Les entraves, dit Tekil.
Sihtric sortit d’un sac de cuir deux paires de
menottes.
— Tu peux le laisser, dis-je en désignant
Guthred du menton.
— Kjartan veut le connaître aussi, répondit
Tekil, mais moins qu’il ne tient à vos retrouvailles. (Il sourit comme d’une
plaisanterie qu’il était seul à comprendre, puis tira de sa ceinture une dague
fine et pointue.) Il m’a dit de te couper les jarrets, Uhtred Ragnarson, car un
homme sans jambes ne peut fuir, n’est-ce pas ? Nous allons donc te les
couper et te prendre un œil. Sven a dit que je devais t’en laisser un pour qu’il
puisse jouer avec, mais que je pouvais prendre l’autre pour te rendre plus
obéissant, et je veux que tu le sois. Alors, quel œil veux-tu que je te prenne ?
Le droit ou le gauche ?
Je ne répondis pas, et je n’ai nul scrupule à
avouer que j’étais terrifié. Je tentai de nouveau de me relever, mais mes deux
bras étaient cloués au sol, la pointe de la dague posée juste sous mon œil
gauche.
— Dis adieu à ton œil, Uhtred Ragnarson, sourit
Tekil.
Le soleil qui brillait faisait scintiller la
lame et m’aveuglait. Et j’en revois encore aujourd’hui l’étincelle, des années
après.
Et j’entends encore le cri.
3
C’était Clapa qui l’avait poussé. Un hurlement
suraigu comme celui d’un jeune porc que l’on châtre. C’était plus un cri de
terreur que de défi, et ce n’était guère étonnant car Clapa ne s’était jamais
battu. Il ignorait pourquoi il hurlait quand il dévala la pente. Le reste de la
garde de Guthred suivait le jeune homme, aussi gauche que véhément. Il avait
oublié d’ôter le linge qui enveloppait son épée, mais il était si grand et si
fort que l’arme lui servait de massue. Tekil n’avait plus que cinq hommes face
aux trente jeunes gens qui se ruaient
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