Les Seigneurs du Nord
sur eux. Je sentis la lame de sa dague
glisser sur ma joue quand il se releva. Je tentai de saisir son bras, mais il
fut trop rapide. Clapa lui assena un coup sur le crâne et Tekil vacilla. Je vis
Rypere s’apprêter à lui plonger son épée dans la gorge et m’écriai :
— Laisse-les en vie !
Deux des hommes de Tekil étaient déjà morts
malgré mon ordre. L’un, déchiqueté par une dizaine d’épées, tomba en se
convulsant dans le torrent qui rougit. Clapa avait lâché son épée et plaqua
Tekil à mains nues sur l’îlot.
— Bravo, Clapa, le félicitai-je d’une
bourrade sur l’épaule, tout en prenant les armes de Tekil.
Rypere avait achevé son adversaire. L’un de
mes hommes avait reçu un coup d’épée dans la cuisse, mais les autres étaient
indemnes et attendaient en souriant au milieu du torrent comme des chiots qui
réclament une récompense après avoir abattu leur premier renard.
— Vous vous êtes bien débrouillés, leur
dis-je. (Et c’était vrai, car désormais nous détenions Tekil et trois de ses
hommes. Sihtric, le plus jeune, se trouvait parmi eux. Il avait encore les
entraves à la main, et dans ma colère je les lui arrachai et les lui abattis
sur le crâne.) Je veux les deux autres, dis-je à Rypere.
— Quels autres, seigneur ?
— Il a envoyé deux hommes chercher les
chevaux. Trouvez-les.
Je donnai un autre coup à Sihtric, espérant
lui arracher un cri, mais il resta coi malgré le sang qui ruisselait sur sa tempe.
Guthred était encore assis sur l’îlot, l’air
ébahi.
— J’ai perdu mes bottes, dit-il, semblant
plus inquiet de cela que d’avoir frôlé la mort.
— Tu les as laissées en amont.
Je donnai à Tekil un coup de pied qui me fit
plus mal qu’à lui à cause de sa cotte de mailles, mais j’étais furieux. J’avais
été un sot et je me sentais humilié. Je ceignis mes épées, puis je m’emparai
des quatre bracelets de Tekil. Il leva les yeux vers moi, devinant sans doute
le sort qui l’attendait, mais il ne dit rien.
Les prisonniers furent ramenés en ville. Nous
découvrîmes entre-temps que les deux hommes envoyés par Tekil avaient dû
entendre le fracas de la bataille, car ils s’étaient enfuis. Il nous fallut
bien trop de temps pour seller nos chevaux et nous lancer à leur poursuite et
je maudis le sort, car je ne voulais pas qu’ils donnent à Kjartan des nouvelles
de moi. S’ils avaient eu du bon sens, ils auraient traversé la rivière et longé
le mur, mais ils avaient dû penser que ce serait risqué de traverser Cair
Ligualid et plus sûr de prendre au sud-est. Ils auraient dû aussi abandonner
les chevaux sans cavalier, mais à cause de leur cupidité ils laissèrent ainsi
de nombreuses traces faciles à suivre malgré la sécheresse du sol. Connaissant
mal la région, ils prirent trop au sud, ce qui nous permettait de leur couper
la route par l’est. Le soir, nous avions plus de soixante hommes lancés à leur
poursuite et nous les trouvâmes terrés dans un bosquet de charmes.
Le plus vieux en surgit épée à la main. Sachant
qu’il lui restait peu de temps à vivre et bien décidé à rejoindre le banquet d’Odin
plutôt que les horreurs du Niflheim, il sortit du couvert sur son cheval épuisé,
avec un cri de défi. Je pressai les flancs de Witnere, mais Guthred me devança.
— Il est mien, dit-il en tirant son épée.
Son cheval s’élança, surtout parce que le mien,
vexé d’avoir été retenu, lui avait mordu la croupe.
Guthred se conduisait comme un roi. Il n’avait
jamais aimé le combat et avait moins d’expérience que moi, mais il devait
vaincre seul, sans quoi les hommes auraient dit qu’il s’était lâchement abrité
derrière mon épée. Il s’en sortit bien. Son cheval trébucha juste devant son
adversaire, mais ce fut un avantage, car ainsi il esquiva involontairement son
coup sauvage, tandis que son épée brisait net le poignet de l’homme. Après quoi,
il n’eut plus qu’à le désarçonner puis l’achever. Guthred n’y prit point
plaisir, mais il devait le faire et cette victoire fit plus tard partie de sa
légende. On chanta comment Guthred de Northumbrie avait défait six ennemis au
combat, alors qu’il n’y en avait qu’un et qu’il avait eu de la chance que son
cheval trébuche. Mais il est bon que les rois aient de la chance. Plus tard, quand
nous rentrâmes à Cair Ligualid, je lui fis présent du casque de mon père en
récompense pour sa bravoure. Il
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