Les Seigneurs du Nord
C’est le prix de Dunholm.
L’espace d’un instant l’air me manqua, et je
ne pus me convaincre qu’il le pensait vraiment.
— Tu me vends comme esclave ?
— Au contraire. J’ai payé pour que tu
sois esclave. Pars et que Dieu t’ait en sa sainte garde, Uhtred.
En cet instant, je le haïs, bien que
reconnaissant que ce manque de pitié faisait partie du rôle de roi. Je ne
pouvais lui offrir que deux épées, pas davantage, mais mon oncle Ælfric pouvait
lui en apporter trois cents et autant de lances, et Guthred avait fait son
choix. C’était, je suppose, ce qu’il fallait, et j’avais été sot de ne pas m’en
douter.
— Va, répéta-t-il durement.
Je me jurai vengeance et talonnai Witnere qui
s’élança mais fut déséquilibré par le cheval d’Ivarr, et je m’affalai sur son
encolure.
— Ne le tuez pas ! cria Guthred.
Le fils d’Ivarr m’assena sur le crâne un coup
du plat de sa lame. Je tombai. Le temps que je me relève, Ivarr s’était emparé
de Witnere et ses hommes pointaient leurs épées sur ma gorge.
Guthred n’avait pas bougé. Il se contentait de
regarder, mais derrière lui, un sourire sur sa face de fouine, je vis Jænberht.
Alors, je compris.
— Ce misérable a-t-il tout arrangé ?
demandai-je.
— Les frères Ida et Jænberht sont de la
maison de ton oncle, avoua Guthred.
Je compris alors combien j’avais été sot. Les
deux moines étaient venus à Cair Ligualid, et depuis leur arrivée ils
négociaient mon sort sans que je m’en rende compte.
— M’accorderas-tu une faveur, seigneur ?
demandai-je en époussetant mon justaucorps.
— Si je le puis.
— Donne mon épée et mon cheval à Hild. Donne-lui
tout ce qui est mien et dis-lui de les garder pour moi.
— Tu ne reviendras point, Uhtred, dit-il
doucement après un silence.
— Accorde-moi cette faveur, seigneur, insistai-je.
— Je le ferai, promit-il, mais donne-moi
d’abord ton épée.
Je débouclai Souffle-de-Serpent. Je songeai à
la dégainer et à m’en servir, mais je serais mort en un instant. Aussi en
baisai-je la garde et la tendis à Guthred. Puis j’ôtai mes bracelets, marques
du guerrier, et les lui donnai.
— Confie-les à Hild.
— Je le ferai, dit-il en les prenant. (Il
se tourna vers les quatre hommes qui m’attendaient.) Le comte Ulf les a trouvés,
dit-il en désignant les marchands d’esclaves. Ils ignorent qui tu es et doivent
seulement t’emmener. (Rester un inconnu était en quelque sorte une bénédiction.
Si les marchands avaient su à quel point Ælfric m’aurait voulu, ou combien
Kjartan le Cruel aurait payé pour mes yeux, je n’aurais pas vécu une semaine.) À
présent, va !
— Tu aurais simplement pu me congédier, dis-je
avec amertume.
— Ton oncle a un prix, et c’est celui-là.
Il voulait ta mort, mais il a accepté ceci.
Je regardai derrière lui les nuages noirs qui
s’amoncelaient. Ils s’étaient rapprochés et un vent froid s’était levé.
— Tu dois partir aussi, seigneur, lui
dis-je. Car un orage menace.
Il ne répondit pas et je m’en allai. Le destin
est inexorable. Au pied de l’arbre de vie, trois fileuses avaient décidé que le
fil d’or qui faisait le bonheur de ma vie était épuisé. Je me rappelle le
crissement de mes bottes sur le sable et les cris des mouettes blanches.
Je m’étais trompé sur les quatre hommes. Ils
étaient armés, non d’épées ou de lances, mais de triques. Ils me laissèrent
approcher sous le regard d’Ivarr et de Guthred, et je sus ce qui arriverait si
je tentais de résister. J’avançai vers eux et l’un s’approcha pour me frapper
au ventre, tandis qu’un autre m’assenait un coup sur la tempe. Je m’effondrai
et d’autres coups se mirent à pleuvoir, puis je perdis les sens. J’avais été un
seigneur de Northumbrie, un guerrier, l’homme qui avait tué Ubba Lothbrokson
sur la grève et qui avait désarçonné Svein du Cheval Blanc. À présent, j’étais
un esclave.
DEUXIÈME PARTIE
Le vaisseau rouge
5
Sverri Ravnson, le maître du navire, mon
maître, était l’un des quatre hommes qui m’avaient accueilli en me rouant de
coups. Il était un peu plus petit que moi, de dix ans plus âgé, et deux fois
plus large, avec une face aplatie comme un groin de sanglier, un nez réduit en
bouillie, une barbe noire semée de gris, trois dents et pas de cou. C’était l’un
des hommes les plus forts que je connus jamais. Il ne parlait guère.
Négociant,
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