Les Seigneurs du Nord
glissants, surtout à cause du sang. Je demandai
donc au forgeron de fixer de nouveaux quillons qui donnent une bonne prise, et
d’enchâsser dans le pommeau la petite croix d’argent offerte par Hild.
— Je le ferai, seigneur.
— Ce jour.
— Je m’y efforcerai, seigneur, dit-il
faiblement.
— Tu y parviendras et ton travail sera
bien fait.
Je tirai Souffle-de-Serpent dont la lame
brilla dans la pénombre à la lueur de la forge et je vis le motif que faisait l’acier.
La lame avait été forgée en battant trois tiges de fer doux et quatre d’acier, enroulées
les unes sur les autres. Après avoir été chauffées et battues maintes fois, les
sept tiges n’avaient plus formé qu’une unique lame féroce et luisante sur
laquelle transparaissaient encore les volutes des tiges enroulées. Ainsi
avait-elle reçu son nom, car ces traces ressemblaient à l’haleine d’un dragon.
— C’est une belle lame, seigneur, nota le
forgeron.
— C’est la lame qui a occis Ubba au bord
de la mer, dis-je en caressant l’acier.
— Oui, seigneur, dit-il, terrifié.
— Et tu feras le travail ce jour, insistai-je
en posant épée et fourreau sur son établi.
J’ajoutai la croix de Hild et une pièce d’argent.
Je n’étais plus fortuné, mais je n’étais point démuni. Avec l’aide de
Souffle-de-Serpent et de Dard-de-Guêpe, je serais de nouveau riche.
C’était une belle journée d’automne. Le soleil
brillait, et sous ses rayons le bois encore frais de l’église d’Alfred luisait
comme de l’or. Ragnar et moi attendions le roi, assis sur l’herbe fauchée de la
cour, tandis qu’un moine apportait une pile de parchemins au scriptorium royal.
— Tout est écrit, ici, remarqua Ragnar. Tout.
Sais-tu lire ?
— Je sais lire et écrire.
— Est-ce utile ? demanda-t-il, impressionné.
— À moi, cela ne l’a jamais été, admis-je.
— Alors pourquoi le faire ? s’étonna
mon ami.
— Leur religion est écrite, expliquai-je.
La nôtre, non.
— Une religion écrite ?
— Ils ont un livre où tout est écrit.
— Pourquoi ont-ils besoin qu’elle soit
écrite ?
— Je l’ignore. C’est ainsi. Et bien sûr, ils
écrivent les lois. Alfred adore en faire de nouvelles, et toutes doivent être
consignées dans des livres.
— Si un homme ne peut se rappeler les
lois, c’est qu’il en a de trop nombreuses.
Des cris d’enfants nous interrompirent. Plus
précisément, le piaillement offensé d’un petit garçon et le rire moqueur d’une
fillette, qui apparut un instant plus tard. Elle avait une dizaine d’années, des
cheveux d’or brillants comme le soleil, et elle portait un cheval de bois qui
appartenait clairement au garçonnet. Elle courait en le brandissant comme un
trophée, mince et espiègle, tandis que le garçon, de six ou sept ans, était
plus robuste et avait l’air véritablement malheureux. Il ne risquait point de
la rattraper, car elle était trop vive, mais en me voyant elle s’arrêta et
ouvrit de grands yeux. Le garçonnet la rejoignit, mais il fut si impressionné
en nous voyant qu’il ne tenta point de reprendre son bien. Une nourrice, rouge
et pantelante, apparut à son tour en les appelant :
— Edouard ! Æthelflæd !
— C’est toi ! dit la fillette avec
un air ravi.
— C’est moi, dis-je en me levant, car
elle était la fille d’un roi et Edouard l’œ theling, le prince qui
régnerait sur le Wessex quand son père Alfred mourrait.
— Où étais-tu ? demanda-t-elle comme
si je n’avais été absent qu’une semaine.
— Au pays des géants, répondis-je, et en
une contrée où le feu coule comme l’eau, où les montagnes sont de glace et où
les sœurs sont toujours gentilles avec leurs petits frères.
— Toujours ? sourit-elle.
— Je veux mon cheval ! réclama
Edouard en tentant vainement de le lui prendre.
— N’use jamais de la force pour faire
céder une fille, quand tu peux user de la ruse, lui dit Ragnar.
— La ruse ?
— Le cheval a-t-il faim ? demanda
Ragnar à Æthelflæd.
— Non.
Elle savait qu’il plaisantait et voulait voir
si elle gagnerait à ce jeu.
— Mais imagine que j’use de magie et que
je lui fasse manger de l’herbe ?
— Tu ne le peux.
— Comment le sais-tu ? Je suis allé
en des terres où les chevaux de bois paissent chaque matin, et chaque soir l’herbe
pousse jusqu’au ciel pour que le lendemain les chevaux de bois la dévorent
toute.
— Non,
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