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Les souliers bruns du quai Voltaire

Les souliers bruns du quai Voltaire

Titel: Les souliers bruns du quai Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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exterminer les rats.
    Il fallait des preuves, des preuves irréfutables, et voilà que… Sur un plateau d’argent, la solution ! C’était presque trop simple. Si les indices semés dans ce journal de bord s’avéraient fiables, la monographie livrerait enfin son secret.
    « Passer à l’action. Dissimuler le corps de Moizan… Personne ne s’inquiétera de son absence avant la semaine prochaine… Fignoler une tactique, les contraindre tous à danser. »
     
    Lundi 10 janvier
     
    Philomène Lacarelle ne remercierait jamais assez la Providence d’avoir emporté d’une crise cardiaque son cousin Antoine deux ans auparavant. Ce veuf sans enfants ne possédait d’autre héritière que celle qui, tant d’années durant, avait trimé à nettoyer les saletés des bourgeois pour gagner sa subsistance. La vente de ses biens lui avait rapporté suffisamment pour qu’elle puisse détenir une maison modeste au cœur de Paris et assouvir ses passions : le jeu, les confitures et le général Boulanger. Lors de la liquidation de la succession, elle avait prélevé chez son cousin un amas de détritus bibliographiques en tout genre : livres écorchés, gravures, antiques reliures en lambeaux qu’elle négociait à des libraires ou à des amateurs de vieux papiers. Ainsi l’ex-femme de ménage menait-elle enfin, à cinquante-sept ans, l’existence de ses rêves : papoter, boire une lichette avec ses amies des Halles, arpenter les quais de Seine pour dénicher au fond des boîtes des recettes de fruits cuits ou rassembler documents et articles relatifs à son idole, le général. Deux fois par mois, elle disputait d’interminables parties de cartes en compagnie d’un colporteur nommé Amadeus.
    Lorsque le ciel se montrait clément, elle bavardait des heures avec Séverine Beaumont, bouquiniste quai Voltaire. Assises sur des pliants, les deux femmes, qui partageaient les mêmes emballements, conspuaient Boni de Castellane, l’actuelle coqueluche du sexe faible, et déploraient le suicide du général Boulanger sur la tombe de sa maîtresse, à Ixelles, en 1891. Que n’avait-on autorisé ce héros à sauver la France !
    Philomène se leva à cinq heures, règle immuable, adoptée lorsqu’elle travaillait. Après de brèves ablutions et quelques coups de brosse dans ses cheveux où le blanc dominait, elle enfila sa tenue favorite, une robe de drap bleu lavande assortie d’un paletot. Elle avait renoncé au corset qui comprimait son abdomen. Était-ce sa faute si ses formes généreuses s’épanouissaient avec l’âge ? Elle chaussa ses galoches vernies, aux bouts et aux talons usés, et se détailla dans la glace. Curieux contraste que ces effets élégants et ces souliers éculés, les seuls convenant à ses pieds avides d’espace !
    « Je ressemble à une barrique. Bah, peu importe, l’essentiel, c’est la vaillance et la pétulance, huile de coude et cœur au ventre ! »
    Elle emplit de graines achetées au marché aux oiseaux le dimanche précédent les mangeoires de ses perruches, puis se hâta vers la cuisine. Le froid l’obligea à nourrir incontinent le calorifère. Gavé de plusieurs pelletées de charbon, il rougeoya. Il fallut ensuite moudre le café et faire bouillir de l’eau. Pendant ce temps elle ouvrit Le Petit Oracle et le confident des dames, édition améliorée , dégoté la veille chez Séverine Beaumont, et compulsa la table des questions.
    « Me marierai-je bientôt ?
    Mon mari sera-t-il beau ?
    Dois-je lui accorder… ce qu’il exige de moi ?
    Lequel de nous deux mourra le premier ? »
    De la pointe d’un couteau elle piqua au hasard une des lettres de l’alphabet réparties dans une grille.
    « Voyons voir, question 1, réponse S… Tu le rencontreras ce soir ! Oh ! Ben flûte, c’est un délai trop court, je n’suis guère préparée, j’aime encore mieux rester célibataire ! Zut, v’là mon eau qu’essaie de rejoindre l’océan ! »
     
    Elle versa le contenu de la casserole dans une cafetière garnie d’un bas de soie dépareillé fourré de café moulu. Le liquide noir goutta dans une tasse.
    « L’ennui, c’est que les pièces de l’étage ont été négligées ces derniers mois, mais comme personne ne monte, et surtout pas cet inconnu que je vais rencontrer ce soir – tu peux courir, mon gaillard, la Philomène elle a assez donné aux mâles, sacrée engeance ! Un de ces quatre, si ça me chante, j’m’en vais engager une bonne,

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