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Les spectres de l'honneur

Les spectres de l'honneur

Titel: Les spectres de l'honneur
Autoren: Pierre Naudin
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faire en sorte d’être heureux, dit-il en abandonnant les rênes d’Alcazar à Paindorge et en prenant Maguelonne par l’épaule.
    Ce n’était pas une affirmation. Heureux, il doutait de l’être. La bonne chance et l’infortune continueraient de déterminer les deux aspects de son destin. Il en avait toujours été ainsi depuis son départ de Castelreng, quelques semaines avant qu’Aliénor y prit place. Et quelle place !
    – Je ne vais plus sentir cette ombre auprès de moi.
    Il songeait à Guesclin ; Maguelonne, sans doute, à la maladie de leur fils.
    Ce serait dans le domaine des événements extérieurs à Castelreng qu’il se sentirait le moins libre. D’ailleurs, l’enchaînement de tout ce qui composerait un jour et une nuit de sa vie ne dépendrait guère de sa volonté. Plus tard, Hélie sentirait que tout ce qui constituerait son destin serait mérité, qu’il n’existait pas d’effet sans cause ; qu’il appartenait à une contrée, un peuple, une royauté. Qu’en fait de décider, il obéirait de près ou de loin à des autorités inévitables.
    – Allons, dit-il. J’ai hâte de voir mon fils.
    – Moi aussi, dit Paindorge.
    Ils éprouvaient sans doute l’intuition qu’ils seraient déçus l’un et l’autre. Or, quand après avoir mené les chevaux à l’écurie Maguelonne les emmena dans la chambre qu’elle partageait avec l’enfant, ils furent rassurés : Hélie dormait, nu sous un drap qui dessinait son corps robuste. Son souffle était paisible et régulier, – ample même, comme il ne l’avait jamais été.
    – Sortons, dit Tristan à mi-voix. Qu’il dorme. Nous avons un long reze 352 à faire.
    Paindorge s’en alla panser les chevaux. Tristan entraîna son épouse sur le terre-plein, devant l’hôtellerie. Ils s’assirent, main dans la main, sur la margelle d’une fenêtre et maître Chaussade leur apporta un pichet de cervoise et deux gobelets.
    – Voilà, dit Tristan après la seconde gorgée. Hélie me semble en meilleure santé. Il va falloir recommencer…
    « Recommencer quoi ? » devait se demander Maguelonne. Il eut l’impression qu’à choisir promptement ses mots, il les rendrait ternes, opaques.
    – Si notre fils est guéri, il nous offrira moult joies et bonheurs.
    Et promptement, elle aussi :
    – C’est vrai ce qu’il disait sur toi et les femmes d’Espagne ?
    Elle y revenait avec trop de hâte pour qu’il ne s’inquiétât point.
    – Non… Et d’ailleurs, même s’il n’avait pas menti, je ne te connaissais pas lorsque, la première fois, nous étions là-bas.
    C’était un argument péremptoire. Il vit qu’il ne satisfaisait guère son épouse. Bon sang ! Elle n’allait tout de même pas lui faire regretter l’ost et par-delà les contingences, la liberté de vivre qu’il y avait éprouvée !
    Comme Maguelonne différait tout à coup de la pucelle enjouée qu’il avait épousée !
    Tristan sentit sur lui une sourde menace. Il hésita entre une réponse abrupte et un silence équivoque.
    – Tu vois : tu ne dis rien.
    – Oublie ce que Guesclin t’a dit. C’était pour nous faire bisquer l’un et l’autre. Je suis là. Nous sommes unis par le mariage… Les liens du mariage. Hélie va mieux. Tu devrais être heureuse !
    Bon sang ! Si elle exagérait encore ses reproches insidieux, elle s’exposerait… À quoi ?
    Il songea tout à coup aux admonitions que lui avait adressées Pierre de la Jugie… À propos de qui, déjà ?… Sans qu’il eût trop cherché, le nom s’imposa dans sa mémoire comme un éblouissement : Rogette d’Armissan. Elle l’aimait au point de le suivre de loin et de jouir de sa vue !
    Il avait choisi Maguelonne en conscience.
    Il fut presque effrayé par l’immensité de sa vie future et par des nuits qui ressembleraient, peut-être en pire, à celles qui avaient précédé leur venue au Puy.
    Il regarda fixement Maguelonne pendant qu’elle buvait sa cervoise. Même ainsi, sur le bord du gobelet, sa bouche semblait exprimer ses doutes et son amertume.
    Il se sentit happé dans un filet d’enrageries, de rancunes et de renoncements douloureux. Il essaya de leur opposer les baisers de naguère, les premiers élans d’un corps qui ne demandait qu’à s’épanouir d’étreinte en étreinte, d’audace en audace. Quel doute entrait soudainement en lui ? Celui d’avoir commis une sottise ? Non, tout de même. D’où venait donc cette difficulté de vivre sitôt
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