Les voyages interdits
pubienne un onguent brun foncé, et la noire forêt qui la couvrait
commença de disparaître, telle de la fumée qui se dissipe. En moins de temps
qu’il n’en faut pour le dire, il fut à cet endroit aussi imberbe que l’était
Doris Tagiabue.
— Ce baume est un miracle, assura-t-il,
admiratif, en se regardant d’en haut.
— En vérité, on peut le dire, cheikh Folo,
confirma l’un des jeunes hommes, souriant largement tout en le lorgnant d’un
regard concupiscent. Votre sexe ainsi épilé n’en est que plus visible et il
s’érige à présent fièrement, aussi beau qu’une lance de guerre. Il est
désormais telle une véritable torche capable de guider votre bien-aimée dans la
nuit. Quel dommage que le cheikh ne soit pas circoncis, afin que la prune
brillante de ce vigoureux étendard puisse être encore plus facile à observer, à
admirer et à...
— Bon, bon, ça va ! Dis-moi, peut-on acheter
de cet onguent ?
— Mais certainement. Il suffit de me le demander,
cheikh, et je courrai jusque chez l’apothicaire pour vous en rapporter une
jatte pleine, ou même plusieurs, si vous le souhaitez.
— Tu y penses comme à une marchandise éventuelle,
Matteo ? interrogea mon père. Si tu veux mon avis, je ne vois pas le
moindre débouché possible pour ce produit à Venise. Un Vénitien envisage le
moindre duvet sur son fruit comme un trésor.
— Mais c’est vers l’est que nous nous dirigeons,
Nico. Rappelle-toi, la plupart des peuples orientaux considèrent la pilosité
comme une souillure, et ce quel que soit le sexe. Si ce baume n’est point ici
trop onéreux, nous pourrions le revendre là-bas avec profit.
Sur ce, il ordonna à son masseur :
— Cesse de me caresser, jeune homme, et allons-y
pour le bain.
Les serviteurs nous lavèrent alors des pieds à la
tête, utilisant un savon crémeux, puis nettoyèrent nos barbes et nos cheveux à
l’aide d’une odorante eau de rose, avant de nous sécher avec des serviettes
fort douces au parfum de musc. Lorsque nous fumes rhabillés, ils nous servirent
des boissons rafraîchissantes à base de jus de citron, afin de nous réhydrater
après cette exposition à la chaleur. Je quittai le hammam avec une sensation de
propreté telle que je n’en avais jamais éprouvée auparavant, animé de la
reconnaissance la plus sincère à l’égard de cette invention arabe. Je devais y
avoir souvent recours par la suite, et la seule chose dont j’aie jamais eu à me
plaindre à ce sujet, c’est que tant d’Arabes eux-mêmes préfèrent la crasse et
la puanteur à la propreté que procure cette pratique.
Bien que les sommes que nous lui versions eussent
mérité qu’il nous nourrît exclusivement de nectar et d’ambroisie, il faut bien
reconnaître que notre cicérone, Ishaq, n’avait pas menti au sujet de la qualité
des mets proposés dans son auberge. Le repas du premier soir fut son agneau
truffé aux pistaches, servi avec du riz et des concombres émincés et
assaisonnés au jus de citron, suivi d’une préparation composée de pulpe de
grenade sucrée, délicatement parfumée aux amandes râpées. Tout était délicieux.
Mais ce qui me transporta le plus fut le breuvage qui accompagnait ces plats.
Selon ce que m’expliqua Ishaq, il s’agissait d’une décoction de baies mûres
infusées dans de l’eau chaude, nommée qahwah. Ce mot arabe signifie
« vin », mais ce n’en est pas, la religion des Arabes interdisant
tout alcool. Si sa couleur brun-grenat pourrait rappeler celle d’un barolo du
Piémont, il n’en a ni l’arôme puissant ni le léger arrière-goût de violette. Sa
saveur n’est ni douce ni amère, comme c’est parfois le cas pour certains vins.
Il ne procure pas non plus l’ivresse, ni ne provoque la gueule de bois du
lendemain. Cependant, il réjouit bel et bien le cœur, avive les sens, et, comme
l’assure Ishaq, il suffit à un voyageur ou à un guerrier d’en avaler quelques
verres pour prendre la route ou marcher au combat de longues heures, l’âme
ardente et sans fatigue.
Le repas nous fut servi sur une nappe posée à même le
sol, les convives étant assis autour. Aucun couvert ne nous ayant été fourni,
nous eûmes donc recours, pour découper, aux couteaux que nous portions à la
ceinture, utilisant la pointe pour piquer les morceaux de viande, à la place
des petites broches que nous aurions employées chez nous. En l’absence de
celles-ci ou de cuillers, nous dégustâmes l’agneau, le riz
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