Les voyages interdits
périple par les rues et les venelles de la ville. Cette errance me
sembla incroyablement longue, et je ne tardai pas à ressentir dans mes membres
une grande lassitude, tandis que mon esprit s’embrumait de plus en plus. Je me
demandai un instant si le soleil n’avait pas tapé trop fort sur ma tête nue ou
si les figues n’étaient pas quelque peu gâtées. Je voyais trouble ; les
bâtiments, tout comme les passants, m’apparaissaient distordus, se balançant
d’étrange façon. Mes oreilles bourdonnaient comme si j’étais environné d’une
armée de mouches. La moindre aspérité sur le sol me faisait trébucher, et
j’implorai mes compagnons de me laisser reprendre haleine un moment. Mais
ceux-ci, toujours aussi pressants et exaltés, me tinrent par les bras et me
forcèrent à continuer d’avancer, d’un pas lent et lourd. Je compris vaguement
que cette sensation de confusion un peu nébuleuse que je ressentais était bien
due à ces fameuses figues macérées dans l’huile. C’était tout à fait normal,
m’assurèrent-ils, et nécessaire pour ce qui allait suivre.
Ils me traînèrent jusqu’à une entrée ouverte et fort
sombre où, toujours obéissant, je me préparai à pénétrer. Mais alors, les
garçons se mirent à gronder rageusement, et ce qu’ils me lancèrent devait plus
ou moins signifier : « Espèce de crétin d’infidèle, tu ne vois pas
qu’il te faut enlever tes chaussures et entrer pieds nus ? », d’où
j’en déduisis que ce bâtiment était sans doute l’un de ces lieux de culte que
les musulmans appellent masjid. Comme je ne portais pas de chaussures à
proprement parler, mais des chausses à semelles, je dus les ôter et me
retrouvai nu à partir de la ceinture. Je tirai sur ma tunique afin qu’elle
couvrît vaille que vaille mon intimité ainsi dévoilée, me demandant vaguement
s’il était plus présentable d’entrer dans un masjid les parties intimes
ainsi dénudées plutôt que chaussé. Cela ne parut pas perturber les garçons, qui
m’introduisirent sans hésiter dans la place.
N’étant jamais entré dans un masjid, je ne
savais trop à quoi m’attendre, mais je fus assez surpris de trouver l’endroit
totalement obscur et vide de tout pratiquant. Tout ce que je pus distinguer
dans la pénombre fut une rangée de jarres en grès, presque aussi hautes que
moi, appuyées le long du mur. Les trois enfants me dirigèrent vers celle qui se
trouvait en bout de ligne et m’invitèrent à m’y glisser.
Me trouvant en infériorité numérique, à moitié nu et
plus totalement maître de moi, j’appréhendais que les jeunes sodomites n’en
profitassent pour abuser de moi. Je m’étais donc tenu sur mes gardes, prêt à me
battre s’il le fallait. Mais ce qu’ils me proposaient là me sembla plus comique
qu’outrageant. Lorsque je les interrogeai sur le pourquoi de l’opération, ils
se contentèrent de continuer à me pousser vers la jarre massive, et j’étais
trop déconcerté pour leur résister. Au contraire, tout en riant du côté
grotesque de la situation, je laissai les garçons me hisser en position assise
sur le rebord de la jarre, l’enjambai de moi-même et m’y coulai tout entier.
Ce n’est qu’une fois à l’intérieur que je vis qu’elle
contenait un fluide visqueux, car je n’avais ressenti en y entrant ni
éclaboussure, ni soudaine impression de fraîcheur ou d’humidité. En fait,
l’amphore était à demi remplie d’une huile dont la température était si proche
de celle du corps que je ne me rendis compte de tout cela que lorsque j’y fus
immergé jusqu’à la gorge. En vérité, c’était plutôt agréable : émollient,
enveloppant, à la fois doux et apaisant, particulièrement pour mes membres fatigués
et mes parties intimes nues et sensibles. Cette sensation m’excita quelque peu.
Etait-ce le prélude d’un quelconque rite sexuel, étrange et exotique ?
Bon, jusqu’à présent en tout cas, je me sentais toujours bien et n’avais pas
lieu de me plaindre.
Ma tête seule dépassait de l’ouverture de la jarre, et
mes doigts en tenaient toujours le bord. Mais, en riant, les farceurs
repoussèrent mes mains à l’intérieur et sortirent un objet qu’ils avaient dû
trouver pas très loin, dans la pièce : un large disque de bois équipé de
charnières, qui ressemblait fort à un pilori portable. Avant que j’aie pu
émettre la moindre protestation ou tenter de m’esquiver, ils
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