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Les voyages interdits

Les voyages interdits

Titel: Les voyages interdits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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tous, cependant, puisque si
mon oncle eut vite l’esprit troublé au point d’avoir envie de chanter, mon père
et moi-même ainsi que les frères restâmes totalement sobres.
    Il y avait là une bande de musiciens ou d’acrobates, difficile
de discerner ce qu’ils étaient, car ils exécutaient d’ahurissantes cabrioles,
des tours et des contorsions tout en jouant. Ils se servaient de
binious, de tambours et de luths à long manche, et j’aurais volontiers qualifié
leur musique d’infâme miaulement si je n’avais pas trouvé si spectaculaire de
parvenir à jouer tout en faisant des sauts périlleux, en marchant sur les mains
et en bondissant sur les épaules les uns des autres.
    Les invités étaient agenouillés, accroupis ou à moitié
allongés sur les coussins des daiwans autour des nappes du dîner qui
couvraient chaque mètre carré du sol, à l’exception d’étroites allées où
serveurs et domestiques se mouvaient comme recroquevillés, avançant en canard.
Par groupes, les invités se levaient les uns après les autres afin d’aller
offrir à l’ostikan et à son fils, assis sous un dais qui dominait légèrement la
salle, les présents qu’ils avaient apportés pour l’occasion. Ils
s’agenouillaient, puis inclinaient la tête et élevaient vers eux du bout de
leurs mains des aiguières, des plateaux et des assiettes en or ou en argent,
des broches de diamant, des tiares ou de riches médaillons, des étoffes de soie
brodées d’or et quantité d’autres objets précieux.
    Je découvris cette nuit-là que, dans les contrées
orientales, le récipiendaire d’un cadeau ne doit pas se contenter, en le
recevant, de simples remerciements, mais doit offrir en retour à son
bienfaiteur un cadeau d’une aussi grande valeur. J’allais assister de plus en
plus souvent à ce genre d’échange, et il m’arriva plus d’une fois de voir
repartir un donataire avec un cadeau d’une valeur incalculablement supérieure à
celui qu’il avait lui-même offert. Mais cette nuit-là, ce fut l’amusement qui
l’emporta. Car l’ostikan Hampig, ayant une âme de commis, se soumettait à la
coutume en offrant tout simplement à chaque nouveau donateur un cadeau prélevé
dans la pile d’objets fraîchement offerts par d’autres. Cela revenait ni plus
ni moins qu’à une redistribution des cadeaux, si bien qu’au final les invités
repartaient chez eux avec ce qu’ils avaient apporté ou le cadeau de quelqu’un
d’autre.
    Hampig ne fit qu’une exception à cette pratique,
lorsque notre tour fut arrivé de nous lever et d’avancer vers le dais. Comme
l’avait prévu mon oncle, l’ostikan fut si transporté de joie en recevant notre
brique de safran qu’il commanda à son fils Kagig de se lever et d’aller nous
chercher quelque chose de vraiment extraordinaire. Kagig revint avec trois
objets qui pouvaient sembler au premier coup d’œil assez quelconques, tout comme
peut l’être au départ une brique de safran.
    Cela ressemblait tout bonnement à trois petites
bourses de cuir. Mais lorsque Hampig les tendit révérencieusement à mon père,
nous constatâmes qu’il s’agissait de petites poches de musc du chevrotain des
montagnes, étroitement empaquetées avec quelques grains de la précieuse
substance que produit cet animal. Ces trois poches nous furent offertes avec de
longues lanières de cuir, pour une raison que Hampig nous expliqua en ces
termes :
    — Si vous connaissez la valeur de ces bourses,
messieurs, vous les fixerez avec soin derrière vos propres testicules et les
mettrez ainsi, dans cet endroit protégé, à l’abri de toute convoitise au cours
de votre voyage.
    Mon père remercia sincèrement notre donateur de son
présent, et mon oncle se lança dans un extravagant discours de gratitude qui
aurait pu durer éternellement s’il n’avait été saisi d’une grosse quinte de
toux. Je ne mesurai pas pleinement la valeur de ce cadeau, ni combien il était
inattendu de la part d’un esprit aussi étroit que celui du sieur Hampig,
jusqu’à ce que mon père me précise que les trois petites bourses pleines de
musc que nous avions reçues équivalaient à la somme totale dépensée ce jour-là
au bazar.
    Quand nous eûmes fini de saluer l’ostikan et quitté le
dais, son fils s’approcha en vacillant et se joignit à nous autour de notre
nappe. Nous nous trouvions bien sûr assez loin du dais d’honneur, au milieu
d’invités de rang moindre et d’aspect quelque

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