L’ESPION DU PAPE
boucles et les laisser rouler sur ses épaules. Sait-elle qu’il est là, derrière elle ? Elle se hausse sur la pointe des pieds, comme pour mieux voir dans son miroir ses seins pleins et fermes. De la main, elle puise dans un petit bol des fleurs d’oranger séchées qu’elle trempe dans une coupelle d’eau. Elle les passe doucement sur elle pour se parfumer.
Bouillant de désir, Amaury ne peut s’empêcher de faire un pas en avant. Le parquet craque. Elle se retourne, l’aperçoit. Il s’immobilise au seuil de la pièce. Elle ne recule pas. Sa superbe nudité l’affole. Il aimerait la toucher, la caresser, la faire frémir, lui qui n’a jamais connu de femme et qui les craint. Immobiles, ils se regardent sans un mot. Yasmina lui sourit et fait un pas vers lui. Elle lui tend la main. Malgré le désir qui le submerge, Amaury se sent gauche et glacé. Des gouttes de sueur perlent à son front. Ses jambes défaillent. Un claquement de porte retentit. Un bruit de pas résonne dans l’escalier. Est-ce le chevalier ?
Pris de panique, Amaury tourne brusquement le dos et s’enfuit. Derrière lui, il entend la porte de Yasmina se refermer et le bruit de pas s’éteindre. Revenu dans sa chambre, il se jette sur son lit, plein de honte, et pleure de rage en se traitant d’imbécile.
Le jour se lève sur Touvenel endormi. Constance a quitté le lit et entrouvert la fenêtre de leur chambre. Elle entrebâille prudemment les contrevents de bois. Quelques secondes auparavant, elle avait encore la tête appuyée sur la poitrine du chevalier, ses jambes entrelacées aux siennes, écoutant son souffle régulier et formant le vœu que ce bonheur, cette communion, ne s’interrompent jamais. La veille au soir, ils ont parlé longuement de leur avenir avant de s’endormir. Il lui a promis que plus jamais il ne se complairait dans son désert d’amertume, maintenant qu’elle l’avait choisi pour ami. Quand elle lui avait demandé de s’installer chez elle avec Yasmina, le temps qu’il trouve les moyens de réparer les ravages causés à son château, sans doute savait-elle qu’il y resterait pour toujours, tant le projet de remettre en état la demeure de Carrère semblait impossible. Et Touvenel, pas dupe lui non plus, avait accepté en la serrant tendrement contre lui, sachant ce que cela signifiait de leur part à tous deux : un engagement d’amour.
Mais Constance frémit soudain, en entendant au loin les bruits d’une dispute sur la place du village.
— Bertrand ! appelle-t-elle, angoissée.
Touvenel entrouvre les yeux. Il se dresse en entendant à son tour des vociférations assourdies venues du dehors. Il rejoint Constance à la fenêtre. En prêtant l’oreille, tous deux peuvent saisir quelques bribes de cris. On jure par Dieu, par le Christ, les apôtres, les saints sacrements, le Diable et ses démons.
— Ah non ! Ça ne va pas recommencer ! peste Touvenel en enfilant rapidement ses habits.
— Sois prudent, je t’en prie ! lui lance-t-elle alors qu’il dévale déjà l’escalier.
Sur la place, des jeunes gens conduits par Amaury jettent des cailloux sur frère Dominique. Le moine leur fait face sans même prendre la peine de se protéger de leurs projectiles, s’offrant à leurs coups en martyr consentant.
— Moi, Dominique, missionnaire de la foi, je suis venu vous faire entendre des paroles de paix. Je viens d’apprendre ce qui s’est passé ici, il y a deux jours. Je veux vous témoigner de la honte que j’éprouve pour mes frères dévoyés. Ceux qui ont osé se réclamer de ma religion pour perpétrer de tels crimes ne sont pas de vrais chrétiens, le Seigneur m’envoie vous en assurer.
Les autres le huent et continuent de le cribler de cailloux, sans qu’aucun habitant du village n’ose intervenir pour faire cesser ce jeu de massacre. De son atelier voisin à ciel ouvert, Salomon, le maréchal-ferrant, affiche un air désapprobateur à l’égard des jeunes gens, sans s’arrêter de frapper le fer sur son enclume. Dominique reprend :
— Vous me recevez comme un ennemi, alors que Dieu m’envoie vous dire que nous sommes faits pour vivre ensemble. Mes frères bien-aimés, j’ai décidé de prier, de supplier et de pleurer pendant neuf semaines, à chaque heure du jour et de la nuit, pour que s’apaisent les souffrances que ces misérables vous ont causées.
Un meunier passe, deux sacs de grains sur les épaules. Il hésite à intervenir, puis
Weitere Kostenlose Bücher