L’ESPION DU PAPE
il leur fait signe de ne pas bouger.
— C’est en confession que vous m’avez reçu, déclare-t-il au légat, à mi-voix. Pour ce à quoi vous pensez, je suis comptable devant Dieu, pas devant les hommes.
C’est au tour de Castelnau de sourire. À mi-voix lui aussi, il chuchote :
— Apprenez, seigneur de Gasquet que, pour des raisons d’importance et sous certaines conditions, on peut rompre le secret de la confession.
Et, tournant bride brusquement, il s’éloigne sans un mot d’adieu, aussitôt suivi par son escorte.
Chevauchant pour rejoindre les moines cisterciens qu’il a laissés dans une abbaye voisine, Castelnau s’en veut d’avoir proféré une menace qu’il sait d’avance ne pas pouvoir tenir. À quoi bon en effet entamer une telle procédure contre ce scélérat ? Il n’est pas si simple de se délier du secret de la confession, contrairement à ce qu’il a semblé suggérer pour l’intimider. Il faudrait qu’il en appelle au pape, et qui sait si Innocent III lui donnerait raison ? Moralement, à coup sûr, le Saint-Père l’approuverait. Mais estimerait-il opportun d’étaler sur la place publique les vices et les crimes d’un seigneur considéré comme l’un des plus fervents catholiques de la région ? Que changerait d’ailleurs cette divulgation au cours des choses, si tant est qu’on puisse grâce à elle faire condamner ce criminel devant un tribunal séculier ? Quel plaisir pourtant ce serait, de lui voir la tête tranchée ! Castelnau se sent décidément l’esprit inerte, frappé de léthargie, impuissant à mener à bien sa lutte pacifique contre l’hérésie. Il faut absolument et de toute urgence que le pape accepte de le relever de ses fonctions. Le prochain débat à l’abbaye de Fontfroide sera le dernier auquel il participera. Après cela, que pourrait-il faire d’autre qu’attendre un miracle ? À une situation aussi exceptionnelle ne peut plus répondre à son avis qu’un dénouement surnaturel. Mais il a beau lever les yeux vers le ciel pour en attendre un signe, rien ne s’y produit, aucune puissance occulte ne vient à son secours. Et il continue de chevaucher indécis, dressé sur sa selle, le regard dans le vide, torturé par cette envie d’uriner, aussi hagard qu’un naufragé que la tempête aurait rejeté sur la grève en lui laissant la vie sauve mais en lui ôtant toute raison d’espérer un quelconque avenir.
Gasquet a suivi des yeux l’escorte du légat jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Il fait signe au baron Guiraud de s’approcher. Le boiteux se détache de ses hommes et vient coller sa monture contre la sienne. Gasquet se penche à son oreille :
— Peut-être est-ce par lui qu’il faudrait commencer, au lieu de Dominique ou de l’évêque d’Osma ? Qu’en penses-tu ?
Guiraud lui lance un regard incrédule.
— Tu plaisantes ! Le comte de Toulouse ne pourra jamais cautionner l’assassinat d’un légat du pape.
Gasquet lui renvoie un clin d’œil amusé.
— Justement ! Il sera obligé de marcher avec nous. Ou, pour le moins, de rester à l’écart, si nous nous déchaînons.
Guiraud reste un moment pensif, comme effrayé par une telle idée.
— Et comment feras-tu pour que nous ne soyons pas soupçonnés ?
— Nous serons les premiers à nous en indigner ! Comme nous le serons ensuite pour Dominique ou l’évêque d’Osma.
— Quel avantage, alors ?
— Un légat du pape est un plus gros poisson. Il oblige plus directement le Saint-Père à intervenir.
Guiraud ne trouve rien à répondre. Gasquet enchaîne :
— Après tout, il ne doit pas être beaucoup plus difficile de trouver un imbécile du côté des cathares pour assumer la paternité d’un meurtre plutôt que d’un autre.
Les deux hommes restent un moment pensifs. Un cri, soudain, interrompt leur réflexion :
— Un intrus, là !
L’un des hommes de la Confrérie Blanche vient d’apercevoir une silhouette accroupie derrière le tronc d’un chêne. Yasmina, se voyant découverte, se relève et s’enfuit. Deux cavaliers se lancent aussitôt à sa poursuite. Elle a beau courir en se faufilant entre les buissons, les deux hommes la rattrapent sans peine. Ils la ramènent devant le chef de la Confrérie blanche. Elle se débat furieusement. Ils la maîtrisent, lui tordent les bras dans le dos, lui tirent par les cheveux la tête en arrière. Gasquet la considère un moment, faussement compatissant.
— Ils sont
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