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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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instinctive. Partout devant eux, les feux grégeois des chrétiens d’Occident commandés par Boniface de Montferrat s’abattaient du haut des tours mobiles sur les coupoles dorées des chrétiens d’Orient, comme des foudres dardées contre les anges rebelles pour leur ouvrir le passage.
    Une fois les remparts escaladés et enfoncées les portes de la cité, tous avaient donné libre cours à leur rage. Pendant deux jours et deux nuits, ils avaient massacré et pillé. Excédés par plus d’un mois de siège et de souffrances, au cours duquel ils n’avaient mangé que du lard rance le jour et veillé la nuit pour se prémunir contre les attaques des Byzantins, les guerriers et les porte-glaive, privés de raison, respiraient le meurtre. Ils avaient porté le fer partout où ils le pouvaient, envahi les places, les maisons, les couvents, les monastères d’hommes ou de femmes, jusqu’à Sainte-Sophie, la grande église de Dieu. Archers, cavaliers et simples gens d’armes, animés d’une furie démoniaque, le regard en feu, avaient lancé leurs traits sur les civils en fuite. Leurs poignards avaient égorgé. Leurs glaives avaient taillé les bras, coupé les mains, tranché les gorges, percé les ventres, évidé les poitrines.
    Proférant les pires insanités, ils avaient trempé les lames de leurs épées dans les cervelles des Byzantins qui imploraient pitié, arraché les enfants aux mères, violé les vierges, dénudé les poitrines des femmes âgées pour voir si elles y cachaient des parures précieuses. Ils avaient pillé les icônes, frappé les religieux et versé leur sang sur les autels. Le chevalier avait vu des abbés croisés plonger leurs mains dans des coffres en argent, s’emparer de reliques sacrées et retrousser leur robe de bure pour les emplir de leur butin, tandis que d’autres garnissaient leurs charrettes de soieries et de brocarts d’or. Partout, ce n’étaient que gémissements et cris, cendres et sang, horreur et désolation. Et tout cela sans crainte du châtiment divin.
     
    Malgré la distance qu’il a mis entre lui et l’Orient, Touvenel n’ose toujours pas se retourner, de peur de voir ses cauchemars l’assaillir. Derrière lui, son écuyer se cramponne à son harnais, faisant effort pour ne pas tomber à terre. Le chevalier l’entend geindre.
    — De quel mal peut-il souffrir, Yasmina ? s’inquiète-t-il. Tu dois le savoir, toi qui connais tant de remèdes contre les maladies de l’Orient.
    — Sans doute d’une fièvre quarte. C’est fréquent chez nous. Mais les fumigations et les bains d’herbe que j’ai employés pour te soigner n’y feront rien, croisé.
    À un escarpement du chemin, le sabot de leur cheval heurte brusquement un rocher affleurant. La bête trébuche et s’effondre sur les genoux, désarçonnant ses deux cavaliers.
    — Il faut le soulager, décide Touvenel. De nous et de nos bagages. Sinon, il ne retrouvera jamais son écurie.
    Il empoigne la bride du cheval et, le plus délicatement qu’il le peut, le force à se relever.
    — Pauvre ami ! soupire-t-il. Tu m’as tant accompagné. Résiste encore. Au moins jusque là-bas.
    Une larme perle au coin de son œil. Il pose son front sur celui de sa monture et caresse son encolure. Yasmina observe attentivement la scène, malgré le mal que lui procure son épaule contusionnée et son genou écorché par la chute. Un sentiment d’écœurement monte en elle.
    — Tu pleures sur un cheval ! Pleurais-tu aussi sur ceux que tu transperçais de ton épée, à Constantinople ?
    Touvenel sursaute à ce rappel. Ainsi donc, elle ne lui a toujours rien pardonné ? Il voudrait répondre qu’il a pu sauver plus d’un homme et plus d’une femme. Elle-même n’en est-elle pas la preuve ? Mais il abandonne, épuisé d’avance à l’idée d’une dispute inutile. De cette jeune fille, qu’il a sauvée du viol des deux soudards croisés, il ne sait toujours pas grand-chose, malgré les longs mois passés ensemble. Une indéniable entente s’est pourtant établie entre eux au fil des jours. Yasmina lui a raconté que, d’origine berbère et chrétienne, elle a été enlevée sur la côte de la Barbarie, encore enfant. Vendue comme esclave, élevée dans la tradition sarrasine et la religion musulmane, son propriétaire l’a remise, une fois pubère, à un Byzantin qui la destinait à son harem particulier. L’attaque des croisés à Constantinople lui a permis de s’enfuir, et

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