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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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plus réaliste de nous deux. C’est sans doute pourquoi elle m’a préféré. Les femmes préfèrent les hommes réalistes et se lassent vite de ceux qui ne se déclarent pas. Mais si tu n’as pas encore perdu toutes tes facultés, tu te souviendras sans doute que je l’ai partagée ensuite avec toi.
    Le pape renonce à poursuivre cette évocation. Son regard se porte de nouveau sur le portrait d’Ingeburge.
    — Ne trouves-tu pas qu’elle a le visage d’une sainte ?
    Stranieri contemple un moment la jeune femme.
    — La nature humaine est étrange. Un air de sainteté ou une trop grande beauté peut parfois repousser l’acte de chair. Il m’est arrivé par exemple, avant d’avoir prononcé mes vœux, de désirer des femmes pour leur beauté et de ne pouvoir les toucher. Plus curieux : le contraire m’est arrivé aussi. J’ai connu des femmes dont l’aspect physique provoquait en moi une certaine répulsion, et que j’étais malgré mon dégoût capable de satisfaire avec fureur. Tu as dû éprouver ça, toi aussi, j’imagine ?
    Le pape écarte la question d’une main négligente.
    — Il m’a toujours fallu éprouver un embryon de sentiment pour pouvoir passer à l’acte. Je n’ai jamais pu me suffire de la chair brute.
    — Des seins lourds, des hanches pleines, des fesses charnues, un jardinet bien fentu, ne suffisaient pas à émouvoir ton aiguillette ?
    — Non, il lui fallait un peu d’âme aussi.
    — Un peu d’âme ! murmure Stranieri en se signant.
    Et, levant les yeux vers le ciel :
    — Merci, Seigneur ! Tu m’auras au moins épargné cette épreuve !
    Les deux hommes s’absorbent dans leurs souvenirs, les yeux toujours fixés sur le charmant portrait de la femme du roi de France.
    — Quel gâchis ! soupire de nouveau Innocent III.
    — Je suis bien d’accord ! Cette pauvre Ingeburge lui fait horreur. Il paraît aussi qu’après cette fameuse nuit si, par mégarde, il la croisait ou qu’ils se trouvaient ensemble dans une même pièce, il était obligé de baisser les yeux ou de détourner le visage, tant elle lui répugnait. C’est sans doute pourquoi il la fait garder si sévèrement. Pour ne pas risquer de la croiser.
    Les deux hommes se servent de vin et trinquent.
    — Venons-en au premier objet de ta mission : as-tu réussi à l’approcher et à lui remettre la lettre que je t’avais donnée pour elle ?
    — Bien sûr. J’ai agi comme tu me l’avais demandé. Sur le chemin du retour, frère Yong et moi sommes passés par Étampes, et j’ai pu être introduit jusqu’à elle par l’homme que nous avons acheté. Elle te remercie et m’a remis cette lettre pour toi.
    Stranieri sort d’une poche cachée dans sa soutane un rouleau qu’il tend au pape.
    — Comment t’a-t-elle paru ?
    — Un peu marquée par le passage des ans, mais toujours aussi belle. Encore très proche par les traits et la silhouette du portrait que tu as près de toi, malgré les rigueurs de sa captivité.
    Le pape pousse un soupir, ouvre le rouleau de papier et commence à lire le message qu’Ingeburge lui a adressé. Il en paraît ému.
    — Écoute ce qu’elle m’écrit : « Vous devez savoir, Saint-Père, que, dans ma prison, je n’ai pas la moindre consolation, mais que j’endure des souffrances incommensurables et insupportables. Personne n’a le droit de venir me voir ni ne l’ose. Aucun ecclésiastique ne vient me consoler. Je n’ai pu entendre un mot de Dieu pour l’adoucissement de mon âme et je n’ai la permission de me confesser à aucun prêtre. Rarement je peux assister à la messe, jamais aux autres offices. Aucun homme ni messager de mon pays natal, avec ou sans lettres, ne peut venir parler avec moi… »
    Innocent III relève les yeux vers Stranieri.
    — Au moins auras-tu pu rompre un peu cet isolement.
    — Elle en a semblé très heureuse, en effet. Pendant l’heure que j’ai passée avec elle, j’ai essayé de la divertir de mon mieux.
    Innocent III se replonge dans sa lecture.
    — « Je tourne les yeux vers vous, Saint-Père ! Si la mort corporelle si douce, si bienvenue pour moi, malheureuse délaissée, répudiée, exclue du monde, ne vient pas, je supplie Votre Sainteté que, si je me laisse arracher quelques déclarations contraires aux lois du mariage, elle n’en tienne pas compte et m’absolve de cette misère. Si mon seigneur Philippe, célèbre roi des Français, trompé par les ruses du Diable, voulait encore

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