L’ESPION DU PAPE
place publique qu’à L’Anneau d’Or, un juif prête sur gages à des taux qui dépassent ceux qu’autorise la religion ? Ce sont les flammes du bûcher, Baruch ! Rien de moins.
— Et pourquoi me voudriez-vous ce mal, monseigneur ? se lamente le joaillier. Je n’ai toujours fait que vous servir.
Touvenel approche sa tête de la sienne.
— Alors, tu vas m’aider davantage. Il me faut retrouver ceux qui ont pillé mon château et tué ma douce Esclarmonde : j’ai juré de la venger. Personne ne semble les connaître. Mais toi, je suis sûr que tu as une idée.
Le joaillier fait un signe de dénégation.
— Je suis désolé, monseigneur. Je ne sais rien. C’est vous qui venez de m’apprendre que votre château avait brûlé.
— Oh ! non, Baruch ! murmure Touvenel d’un air désolé. Ne m’oblige pas, toi aussi, à la violence.
— Je ne peux rien dire, monseigneur, je vous l’assure ! Je ne me souviens de rien.
Touvenel comprend que l’homme rechigne à parler, de peur de représailles. Il n’arrivera à rien avec lui, s’il ne lui fait pas peur. Saisissant entre ses mains la tête du joaillier, il la presse soudain de toutes ses forces, ses pouces autour de ses tempes. Une terrible pression, à lui faire éclater le cerveau.
— Cherche, Baruch ! Je t’ai acheté beaucoup de parures pour ma femme, elles ont toutes disparu. Il m’étonnerait que tu n’aies plus entendu parler de ces bijoux.
Baruch lève la main en signe d’assentiment, pour se libérer de l’étreinte.
— Des bijoux de votre femme ? articule-t-il avec peine. Oui, monseigneur, je crois me rappeler.
Libéré, il se dépêche d’ouvrir un coffret laqué de noir, scellé au mur du fond de l’échoppe et en sort deux boucles d’oreilles en or, serties chacune d’un petit diamant.
— Un homme me les a apportées, il y a quelques mois, mais j’ai cru que votre femme les lui avait vendues.
Touvenel s’empare des boucles, les observe à la lumière des chandelles et les garde un moment dans le creux de sa main. Une larme coule sur sa joue. Il ferme les yeux et les porte à ses lèvres, comme s’il pouvait ainsi retrouver Esclarmonde. Quand il les rouvre, il fixe le joaillier et lui commande d’un ton sans réplique :
— Le nom de cet homme ! Vite.
L’autre, en baissant la voix comme s’il avait peur d’être entendu, articule un nom si faiblement que le chevalier est obligé de coller son oreille à ses lèvres pour l’entendre. Il se redresse, la paire de boucles d’oreilles en main.
— Ne crains rien. Personne ne saura que c’est toi qui m’as renseigné. Mais je conserve ces deux bijoux, ils font partie de ma vie. Personne n’en fera commerce.
Les aboiements féroces des chiens, des griffons efflanqués, mais surtout des bas rouges imposants, et d’autres, plus loups que chiens, auraient de quoi faire trembler le plus intrépide des hommes. Les crocs dehors, la bave aux lèvres, le poil hérissé, les muscles saillants, prêts à bondir sur qui passerait à leur portée, les monstres se cognent contre les barreaux de leurs cages. Touvenel, sous le couvert des arbres qui cernent la petite clairière, les observe sans frémir. Ce ne sont pas eux qui l’intéressent, mais leur propriétaire : un homme maigre, le poil noir, les cheveux longs et la barbe sale, la peau basanée, les chausses et la cotte maculés de boue. Sur ses gardes, mis en alerte par les aboiements des chiens, il vient de sortir d’une chaumière et parcourt les environs du regard. Rassuré de ne découvrir personne, l’homme se dirige vers un cabanon en bois accolé à la maison, en ressort, un seau à la main, et traverse sa cour boueuse, bordée d’une mare à l’eau jaunâtre où des cochons en liberté côtoient des poules et des oies.
Un peu plus loin, derrière la maison où s’entasse quantité de bois, fument des cônes couverts de branchages. « Charbonnier, braconnier ou éleveur de meutes ? se demande Touvenel. Ou peut-être simplement brigand ? » L’homme puise dans son seau des morceaux de chair qu’il brandit devant les cages. Les bêtes se ruent sur les barreaux pour tenter de lui arracher leur pitance d’os et de chair crue. Il semble avoir un malin plaisir à les narguer, passant d’une cage à l’autre, toujours plus près pour les exciter, prenant soin de ne pas se faire happer la main par leurs redoutables mâchoires.
Après s’être ainsi réjoui un moment du
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