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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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saute dans la tombe. Les deux paysans, à genoux, mains jointes, prient à voix haute le Seigneur pour qu’il les absolve de cette profanation.
    — Qu’avons-nous fait, qu’avons-nous fait ? Pardonne-nous, Seigneur Jésus. Pardonne-nous !
    Touvenel, jambes écartées au-dessus du cadavre, reste figé devant la face à la chair rongée qui ne peut plus délivrer ses secrets. Il en a vu, des morts, pendant son expédition en croisade. Pourtant, jamais il ne s’est attardé près d’eux. Pressé, autant que les autres croisés, de repartir au combat, il a laissé derrière lui des hommes qu’il ne connaissait pas et qui ne lui avaient aucunement porté préjudice. Aujourd’hui, il contemple le visage du mal dans sa putréfaction : l’enveloppe d’un homme qui a détruit sa vie, l’un de ceux qui lui ont volé sa femme et miné son âme.
    Il aperçoit sur le cadavre, à moitié recouvert de terre, un pendentif à chaîne d’or et pierre de jade. Le bijou qu’il avait offert à Esclarmonde, le jour de leurs noces ! Le vert, pourtant sombre, de la pierre semble capter en lui les rayons du soleil qui l’aveuglent. Il ferme les yeux et croit entendre résonner dans le lointain des sons, des notes, un chant humain. Il frissonne en reconnaissant la voix d’Esclarmonde. Une foule de souvenirs ensevelis au plus profond de lui jaillissent. Il distingue la silhouette de sa femme entourée d’un halo de lumière, tout proche de lui, qui l’enserre de ses bras et lui souffle à l’oreille des mots d’amour, les mêmes que ceux de Constance.
    — Non ! Laisse-moi ! se défend Touvenel, en passant la main devant ses yeux. Je t’en prie, j’accomplirai ton vœu, tout ce que tu peux désirer de moi, Esclarmonde.
    Revenu de son moment d’égarement, Touvenel se penche sur le cadavre. La voix d’Esclarmonde s’est évanouie, la musique divine s’est enfuie, la lumière du ciel ne se réfléchit plus sur la pierre de jade. De lourds nuages noirs masquent les rayons du soleil. Et, pourtant, le bijou paraît briller d’un éclat venu de l’intérieur. Au comble de l’emportement, Touvenel arrache si violemment le pendentif que la tête du cadavre se détache du corps. Sans montrer plus d’émotion que pour la mort de Germain, il passe le collier d’or à sa ceinture.
    — Je dois terminer la besogne, décide-t-il en levant sa dague.
    Avec un « han ! » de rage, il plante son arme dans le cadavre, à l’endroit où devait se trouver le cœur du sieur Roland de Carnule. Il le fouaille rageusement de sa lame, comme s’il pouvait encore le faire souffrir.
    — Le bien absolu serait-il en dehors de la vie ? murmure-t-il pour lui-même en remontant du trou. Serait-ce la mort qui joue ce rôle ? Alors, qu’on me chante la chanson de la mort.
    Les deux paysans, poussés par la curiosité, se sont arrêtés de psalmodier leurs prières et se sont penchés au-dessus de la tombe. Épouvantés par ce qu’ils viennent de voir, ils retombent à genoux et implorent de nouveau Dieu de les épargner pour leur sacrilège.
    — Cessez vos incantations ! leur lance Touvenel. Prenez plutôt cela. Vous en vivrez mieux que d’eau bénite !
    Il leur donne à chacun deux deniers d’argent, deux fois plus que la somme promise, et jette un autre denier dans la tombe.
    — Celui-là te paiera ton passage vers l’Enfer.
    Un formidable coup de tonnerre secoue le ciel. Des éclairs zèbrent l’horizon. Les deux paysans s’enfuient, en criant à la colère de Dieu. « Allons au-devant de ce que me réserve le destin ! pense Touvenel en enfourchant son cheval. Que ces éclairs soient du Diable ou de Dieu, je ne me soustrairai pas à leur colère. » Il détache le pendentif de sa ceinture : la pierre de jade brille maintenant de l’éclat des éclairs. Il sent, dans le souffle précurseur de l’orage, une forme indistincte, magnétique, qui l’enveloppe dans un linceul de glace, malgré la chaleur étouffante de l’air. « Esclarmonde, es-tu là ? » s’inquiète-t-il. Il passe le collier autour de son cou, la pierre verte sous sa tunique, bien au contact de sa peau. La morsure du froid se fait plus intense. Les éléments se déchaînent. Un formidable roulement de tonnerre le cerne, la foudre s’abat sur un chêne proche de lui. Une boule de feu roule dans le fond de la tombe. Tout, autour de lui, n’est plus que vacarme et fureur. Une averse d’éclairs forme un cercle qui lui paraît

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