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L’ESPION DU PAPE

L’ESPION DU PAPE

Titel: L’ESPION DU PAPE Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Madral , François Migeat
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revenir plus vite à Savignac. Gasquet, après avoir constaté avec satisfaction que les expériences du Chinois avaient abouti et qu’il disposait à présent d’une arme redoutable, a finalement convenu que l’idée de sauver la vie de la jeune Sarrasine était intéressante et qu’il fallait la tenter, si ce moine à face de lune disposait vraiment de remèdes inconnus ici.
    Le jour commence à baisser, le soleil écrase toujours la garrigue. Les cigales crissent encore dans un vacarme assourdissant. Il se dégage de la terre de puissantes odeurs de lavande, de thym et de romarin. Stranieri, trempé de sueur, observe les bestioles qui traversent parfois le chemin et monologue à voix haute :
    — Vois-tu, Yong, plus j’y réfléchis et plus je pense que l’homme est vraiment le seul animal de la création qui peut infliger aux autres des souffrances sans but déterminé. Tous les autres, que tu vois passer devant nous ou s’enfuir à notre approche, le savent bien, et c’est pourquoi ils nous craignent tant. Eux ne tuent que pour apaiser leur faim ou pour des motifs bien précis. Aucun n’a de plaisir à torturer pour torturer. S’ils le font parfois, comme le chat avec une souris, c’est en croyant jouer avec elle. Tu le remarques à la déception terrible ou à l’incompréhension qu’il semble éprouver lorsqu’elle ne réagit plus. Tandis que l’homme, lui, ressent un plaisir indicible à enfoncer des fers ou des tisonniers dans les chairs vives d’un prisonnier, à l’entendre hurler, à lui arracher les ongles ou à lui remplir l’estomac de liquide jusqu’à le faire exploser. Pure jouissance, et c’est bien ce qu’il y a de diabolique en lui. Regarde au contraire deux chats ou deux chiens jouer ensemble, ils se roulent l’un sur l’autre, ils se caressent du museau, c’est charmant. Amène un jeune enfant de trois ou quatre ans auprès d’eux, il ira chercher aussitôt un bâton pour leur taper dessus. C’est déjà un petit homme ! Homo homini lupus. La source principale des maux qui affectent l’homme, c’est l’homme lui-même. Qui sait si l’enfer que l’homme a créé sur terre n’est pas justement celui dont nous parlent les Écritures saintes ? Cette pensée est un peu hérétique, j’en conviens. Elle irait mieux dans la bouche d’un cathare que d’un catholique. Mais remarque comme nous sommes souvent à nous-mêmes nos propres démons. Sans doute certains, comme ce Gasquet, sont-ils plus propres à jouer ce rôle que d’autres. Mais nombreux, ceux qui l’égalent en cruauté ! Prends par exemple n’importe quel conquérant ou n’importe quel prophète, mets-le à la tête de dix mille hommes, et fais-lui crier : « Nous sommes là pour mourir ! Tirez vos arcs, lancez vos traits, foncez l’épée en avant, et frappez d’estoc ! », tu les verras tous obéir aussitôt et s’entretuer avec la plus extrême jouissance. Mes propos te choquent-ils ?
    Stranieri observe la réponse que lui adresse le Chinois avec ses mains, avant de reprendre :
    — Oh ! ne me fais pas rire, Yong, je t’en prie ! La cruauté des gens de ton peuple n’a rien à envier à la nôtre, tu m’en as assez parlé. Les supplices que vos empereurs font subir à leurs ennemis valent bien ceux que nos croisés ont infligé aux Sarrasins ou aux Grecs, lors de la dernière croisade.
    Yong, de nouveau, agite ses mains en tous sens. Stranieri pousse un soupir incertain.
    — Quelle cause je veux servir ? Bonne question, que je me pose à moi-même souvent, tu peux me croire. Un idéal ? L’avenir ? Sûrement pas. Pour te dire la vérité, dès que j’entends quelqu’un user de ces deux mots-là avec cette fatuité dans l’expression, cette assurance qui lui fait dire « nous » au lieu de se contenter de « je », dès que je l’entends se poser en interprète des « autres » en affectant dans son regard cette compassion stupide de bête blessée, je le considère aussitôt comme mon pire ennemi. Tu trouves que j’exagère ? Disons alors que je vois en lui pour le moins un petit despote aussi haïssable que les bourreaux de haut vol. Crois-moi, Yong, je suis contre tous les idéaux, tous les avenirs. Carpe diem ! c’est la seule sagesse, celle que nous ont transmise les Anciens et que nous avons fâcheusement oubliée. Il serait temps de la remettre en vigueur, nous éviterions bien des drames. Ma doctrine est de profiter du présent, pas de ressasser le

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