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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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ne pas comprendre l’offre que venait de formuler Pernelle, alors qu’elle allait se séparer à nouveau de l’enfant qu’elle avait cru ne jamais revoir. Et comment l’empêcher s’il acceptait ?
    Odon sembla considérer la possibilité et se mordilla à son tour les lèvres - exactement comme sa mère.
    —    Je vous remercie, dame Pernelle, dit-il enfin. Vous avez fait beaucoup pour moi et j’ai envers vous une dette que je ne pourrai jamais rembourser. Voilà maintenant que vous me faites cette offre généreuse. Mais ma vie est ici.
    Soulagé, je le regardai se pencher vers l’avant pour poser un baiser sur la joue de sa mère. Les yeux de Pernelle se remplirent de larmes et elle posa une main attendrie là où les lèvres de son fils l’avaient effleurée. Odon lui devait la vie, en effet, et à plus d’un égard. Mais jamais il ne le saurait.
    —    Très bien, Odon, dit-elle, la voix brisée. Je comprends.
    —    Puisque vous devez partir à l’aube, je vais retourner chez moi. Je me sens bien.
    —    Je t’accompagne, annonçai-je, trop heureux de ce prétexte pour quitter cet endroit.
    Pernelle força un sourire et hocha la tête. Le cœur gros, j’entraînai Odon hors de l’abri. Avant de partir, j’adressai un regard suppliant à Ugolin, qui comprit que je lui demandais de prendre soin d’elle. Il serra les lèvres en guise d’assentiment. Puis je m’éloignai, arrachant pour une seconde fois à mon amie le fruit de ses entrailles.
    En chemin, Odon et moi n’échangeâmes aucune parole. Je me remémorai plutôt avec amertume le serment des Neuf, que j’avais moi-même fait prêter à Pernelle. Je promets et je jure de garder les secrets de l’Ordre des Neuf. Je m’engage à ne les point révéler et à empêcher tout frère ou sœur de le faire, y compris son Magister, s’il est en mon pouvoir de l’en empêcher, et en le tuant s’il le faut. Je m’engage en outre à les défendre au prix de ma vie, à leur consacrer mon existence entière et à les emporter dans la tombe. J’avais déjà eu l’occasion de mesurer l’intransigeance absolue de cet engagement lorsqu’il avait presque justifié la mise à mort de Bertrand de Montbard. Pour le respecter, Pernelle avait abandonné son fils.
    Le lendemain matin, dès l’aube, nous prîmes la route. Les soldats furent les derniers à partir. Je me retournai et jetai un ultime regard sur le village où j’étais né. Je le quittais pour la dernière fois. Désormais, ce qu’il me restait de vie ne serait guidé que par les paroles du Cancellarius Maximus : la seconde part de la Vérité se trouve à Gisors. Dans une chapelle qui n’a jamais vu la Lumière. Suis la lignée de l’Ordre des Neuf. 3, 5 et 7. Les Ténèbres et la Lumière. Gare au vitriol et comprends la marque d’infamie de Jésus. La Vérité est entre tes mains, Lucifer.
    Après avoir revécu mon passé, je me dirigeais enfin vers mon avenir. Si j’en avais un.

    5
       Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux ; vous n’y entrez pas vous-mêmes, et vous n’y laissez pas entrer ceux qui veulent entrer. Matthieu 23,13.
    6
    Père, je remets mon esprit entre tes mains. Luc 13,46.

Chapitre 14 Destination
    Il nous fallut encore cinq jours pour atteindre notre destination. Les images de la carcasse de Gerbaut se trémoussant de façon grotesque dans les flammes nous accompagnèrent tous, pour des raisons différentes. Les deux moines, convaincus d’avoir accompli la volonté de Dieu et protégé l’Église, s’en délectaient sans doute. Pierrepont et ses hommes devaient y trouver matière à amusement. Pour le jeune Montfort, elles représentaient un rappel cruel de ce qu’il était et des raisons pour lesquelles son père le méprisait. Quant à moi, je ressentais un plaisir pervers à l’idée que celui qui, le premier, avait confirmé ma nature et la méfiance qu’elle devait susciter, avait rôti dans d’atroces souffrances. Pour une fois, un chrétien avait subi le sort imposé aux cathares. Quant à son âme, Dieu la jugerait au mérite. J’étais surtout soulagé qu’il n’ait pas eu le temps de claironner le fait qu’il m’avait reconnu.
    Le froid était tombé et le soleil avait fait fondre le plus gros de la neige. Le chemin était bon et abondamment fréquenté. Souvent, des charrettes venant en sens inverse devaient s’écarter pour nous céder le passage.

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