Lettres - Tome I
placer au premier rang P. Vergilius, Cornélius Nepos, et avant eux, Ennius et Accius. Ces derniers n’étaient pas, il est vrai, sénateurs, mais la pureté des mœurs ne varie pas selon les classes.
Toutefois, dira-t-on, je lis publiquement mes ouvrages et j’ignore si ceux-là ont lu les leurs. Oui, mais eux pouvaient se contenter de leur propre jugement ; tandis que je n’ai pas assez de confiance en moi, pour croire parfait ce qui me paraît tel. Je fais donc des lectures et voici pourquoi : d’abord un auteur qui doit lire apporte beaucoup plus de soin à ses ouvrages par respect pour ses auditeurs, ensuite sur les passages dont il n’est pas sûr, il décide comme d’après l’avis d’un conseil. Beaucoup même lui donnent des avertissements et s’ils ne les lui donnent pas, il devine le sentiment de chacun à son air, à ses yeux, à ses signes de tête, à ses gestes, à ses murmures, à son silence ; ce sont des indications assez claires qui permettent de distinguer l’opinion vraie de la politesse. Aussi, quand quelqu’un de ceux qui ont assisté à la lecture prendra envie de lire l’ouvrage, il s’apercevra que j’y ai fait des changements, ou des suppressions, peut-être même d’après son propre goût, quoiqu’il ne m’en ait rien dit. Mais j’en suis à me défendre, comme si j’avais convoqué le public dans une salle de conférence, non pas mes amis dans ma chambre ; or en avoir beaucoup a souvent fait honneur, et n’a jamais attiré de reproche. Adieu.
IV. – C. PLINE SALUE SON CHER JULIUS VALÉRIANUS.
L’affaire des Vicentins.
Petite affaire, mais début d’une grande ; l’ancien préteur Solers a demandé au sénat la permission d’établir un marché sur ses terres. Les députés des Vicentins s’y sont opposés, Tuscilius Nominatus a plaidé pour eux. L’affaire a été renvoyée ; dans une autre séance du sénat les Vicentins sont revenus sans avocat ; ils se plaignirent d’avoir été dupés, soit que ce mot leur fût échappé, soit qu’ils le crussent ainsi ; le préteur Nepos {102} leur demanda quel avocat ils avaient pris ; ils dirent : « le même que la première fois » ; puis « Ne l’avez-vous pas payé alors ? » « Six mille sesterces », répondirent-ils ; « Ne lui avez-vous plus rien donné ensuite ? » – « Mille deniers ». Nepos a demandé l’autorisation de poursuivre Nominatus. Ce fut tout pour ce jour-là, mais d’après mes prévisions, cette affaire ira plus loin. Car bien souvent un simple contact, une légère commotion se propagent au loin. Voilà votre curiosité éveillée. Et maintenant combien il vous faudra de prières, de cajoleries, pour apprendre la suite ! À moins qu’auparavant vous ne veniez à Rome à cet effet, et ne préfériez être spectateur plutôt que lecteur. Adieu.
V. – C. PLINE SALUE SON CHER NOVIUS MAXIMUS.
L’histoire interrompue.
On m’annonce la mort de G. Fannius, et cette nouvelle m’accable d’un profond chagrin ; j’aimais cet homme fin, éloquent et je prenais volontiers ses avis. Il tenait de la nature la pénétration, de la pratique des affaires l’expérience, de la justesse de son esprit la résolution. Je suis affligé aussi de sa propre infortune ; il est mort laissant un vieux testament, dans lequel il a oublié ses meilleurs amis, et comblé d’égards ses pires ennemis ; mais on peut à la rigueur passer là-dessus, le plus grave est qu’il laisse une très belle œuvre inachevée. Quoique fort occupé par ses plaidoiries, il écrivait cependant le récit de la mort des malheureux que Néron avait fait périr ou avait exilés, et déjà il avait achevé trois livres, dont on louait la finesse, l’exactitude, la pureté du latin, et qui tenaient le milieu entre le dialogue philosophique et l’histoire ; et son désir de terminer les autres était d’autant plus vif, qu’on mettait plus d’empressement à lire les premiers. Or elle me paraît toujours précoce et prématurée la mort de ceux qui travaillent à des œuvres immortelles. Car ceux qui, adonnés aux plaisirs, vivent pour ainsi dire au jour le jour, n’ont plus à la fin de chaque journée de raison de continuer à vivre ; mais ceux qui songent à la postérité et qui veulent éterniser leur mémoire par leurs œuvres, sont toujours surpris par la mort, puisqu’elle interrompt toujours un travail commencé.
D’ailleurs Gaius Fannius a pressenti longtemps
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