Lettres - Tome II
d’une ardente fièvre ; enfin elle tomba et, après avoir été frictionné, je me disposais à prendre de la main du médecin une boisson, lorsque je lui tendis le bras en le priant de tâter mon pouls et je lui rendis la coupe déjà près de mes lèvres. Quelque temps après, le vingtième jour de la maladie, on me préparait pour le bain ; ayant vu les médecins chuchoter, je leur en demandai la cause ; ils répondirent qu’ils croyaient le bain sans danger, mais qu’ils ne pouvaient cependant pas se défendre de quelque inquiétude. « Eh quoi ! dis-je, est-ce absolument nécessaire ? » Et, renonçant avec tranquillité et avec douceur à l’espoir du bain, où je croyais déjà me voir porter, j’en acceptai la privation du même cœur et du même air que j’en avais reçu la promesse. Le but de tout cela ? C’est d’abord de ne pas vous donner de conseils sans les appuyer par l’exemple ; c’est aussi pour m’astreindre moi-même dans l’avenir à cette même force de caractère, en m’y obligeant par cette lettre, comme par une caution. Adieu.
II – C. PLINE SALUE SON CHER JUSTUS.
L’envoi différé.
Comment mettre d’accord et votre affirmation que les occupations continuelles vous assiègent et votre désir de recevoir mes livres, qui ont de la peine à obtenir des gens oisifs un peu de ce temps qu’ils gaspillent ? Aussi attendrai-je la fin de cet été que vous passez dans les travaux et les tracas et, en hiver seulement, quand on pourra croire que vos nuits au moins sont libres, je chercherai parmi mes bagatelles ce que je peux vous offrir de préférence ; jusque-là c’est bien assez si mes lettres ne vous sont pas importunes ; mais elles le sont certainement, aussi les ferai-je plus courtes. Adieu.
III. – C. PLINE SALUE SON CHER PRESENS.
Les loisirs de la campagne.
Jusques à quand persisterez-vous à rester tantôt en Lucanie, tantôt en Campanie ? « C’est que, dites-vous, moi je suis Lucanien et ma femme Campanienne. » Excellente raison sans doute d’être absent longtemps, mais non pas toujours. Revenez donc enfin à Rome, où vous attendent considération, honneurs, amitiés tant hautes qu’humbles. Jusques à quand vivrez-vous en prince ? Jusques à quand veillerez-vous, ou dormirez-vous selon votre bon plaisir ? Jusques à quand point de brodequins de cérémonie, la toge en congé, et la liberté tout le long du jour ? Il est temps de revenir goûter à nos ennuis, ne serait-ce que pour éviter à vos plaisirs la satiété qui les rendrait monotones. Revenez faire des visites matinales, pour éprouver plus de plaisir à en recevoir, vous perdre dans notre cohue, pour mieux jouir de la solitude. Mais quelle maladresse ? Voulant vous attirer, je vous rebute. Peut-être en effet ces exhortations mêmes vous engageront-elles à vous plonger encore davantage dans vos loisirs, que d’ailleurs je voudrais non pas supprimer, mais seulement interrompre. Car de même que, vous offrant à dîner, je mêlerais aux plats doux des mets épicés et piquants, afin de réveiller votre appétit lassé et rebuté par les premiers, de même maintenant je vous conseille de relever quelquefois les délices de votre vie par une pointe d’acidité. Adieu.
IV. – C. PLINE SALUE SON CHER PONTIUS.
Goût de Pline pour la poésie.
Vous avez lu, dites-vous, mes hendécasyllabes ; et vous vous demandez comment j’ai pu les écrire, moi qui suis, à votre avis, un homme austère, et de mon propre aveu, point du tout frivole.
Jamais pour reprendre les choses de plus haut, je ne me suis senti d’aversion pour la poésie. Et même à peine âgé de quatorze ans j’ai composé une tragédie grecque. Laquelle ? dites-vous. Je n’en sais rien ; j’appelais cet essai une tragédie. Peu après, revenant de l’armée, comme j’étais retenu par les vents dans l’île d’Icarie, je me suis plaint en vers élégiaques latins et de cette mer lointaine et de cette île. Je me suis essayé une fois aussi en vers héroïques ; quant aux hendécasyllabes, ce sont ici mes premiers. Et voici comment ils sont nés, quelle en fut l’occasion. On me lisait dans ma villa des Laurentes l’ouvrage d’Asinius Gallus {28} où il établit un parallèle entre son père et Cicéron. Il se présenta une épigramme de ce dernier sur son cher Tiron. Puis, comme à midi je m’étais retiré dans ma chambre pour faire la sieste (on était en été), et comme
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