Lettres - Tome II
recommandent, est la traduction soit du grec en latin, soit du latin en grec. Par cet entraînement, on acquiert la propriété et l’éclat des termes, l’abondance des figures, la richesse des développements, en outre l’imitation de ces auteurs excellents donne la facilité de trouver des beautés semblables. Et puis des détails qui eussent passé inaperçus d’un lecteur ne peuvent échapper à un traducteur. Ainsi se forment et l’intelligence et le goût. Vous ne perdrez rien à lire d’abord un passage assez vite pour n’en retenir que le sujet et le plan, puis à le rédiger en vous proposant de rivaliser avec l’auteur, à faire ensuite la comparaison avec le modèle, et à examiner avec soin en quoi vous le surpassez, en quoi il vous est supérieur. Quelle joie si parfois c’est vous qui l’emportez, quelle confusion si c’est lui partout. Vous pourrez parfois choisir des morceaux célèbres et lutter avec eux. C’est un peu audacieux, mais non impudent, car la lutte est secrète. Nous voyons même bien des écrivains qui ont livré de tels combats avec gloire. Ils n’aspiraient qu’à suivre de près leur modèle et, n’ayant pas désespéré, ils l’ont dépassé. Vous pourrez aussi, après qu’un de vos discours sera sorti de votre mémoire, le reprendre, conserver beaucoup de parties, en retrancher davantage, tantôt ajouter et tantôt refaire. C’est sans doute un travail pénible et souvent ennuyeux, mais fructueux par sa difficulté même, de raviver sa première ardeur, et de reprendre un élan brisé déjà et abandonné, enfin d’insérer comme de nouveaux membres à un corps achevé sans troubler pourtant l’ordonnance première.
Je sais qu’en ce moment votre principale étude est l’éloquence du barreau. Je ne vous conseillerais pas cependant de vous en tenir à ce style de polémique et pour ainsi dire de guerre. De même que pour la culture de la terre il est bon de varier et de changer les semences, de même la culture de notre esprit demande tantôt un exercice, tantôt un autre. Je veux que de temps en temps vous traitiez quelque point d’histoire ; je veux que vous écriviez une lettre avec soin. Car souvent même dans un discours se présente la nécessité d’une description non seulement historique, mais même demi-poétique, et ce sont les lettres qui donnent, un style vif et châtié. Il est permis encore de se délasser en composant des vers ; je ne parle pas d’un ouvrage suivi et de grandes proportions, qui exige le loisir absolu, mais de ces petites pièces élégantes et brèves, qui s’intercalent fort bien parmi n’importe quelles occupations ou n’importe quels soucis. On les appelle des jeux ; mais ces jeux obtiennent parfois autant de succès que des écrits sérieux. Ainsi donc (pourquoi ne vous exhorterais-je pas par des vers à composer des vers ?)
« De même que c’est une gloire pour la cire de se plier molle et obéissante aux ordres des doigts habiles et de produire l’œuvre demandée, représentant tantôt Mars, tantôt la chaste Minerve, tantôt Vénus, tantôt le fils de Vénus, de même que les sources sacrées ne se consacrent pas seulement à éteindre les incendies, mais souvent aussi arrosent les fleurs et les prairies verdoyantes, de même l’esprit des hommes doit se plier et se conduire selon un art sans raideur avec une savante souplesse. »
C’est pourquoi les plus grands orateurs, et même les plus grands hommes, se livraient à ces exercices ou à ces délassements, disons plutôt à ces délassements et à ces exercices, car c’est merveille combien ces menus ouvrages raniment à la fois et reposent l’esprit. Ils admettent en effet l’amour, la haine, la colère, la pitié, le badinage, tous les sentiments enfin que l’on trouve dans la vie ordinaire, à la tribune du forum, ou dans les affaires judiciaires. Ils offrent aussi, comme tous les autres genres de poésie, cet avantage, que, après avoir été astreints à la contrainte du mètre, nous sommes heureux de retrouver la liberté de la prose et nous écrivons avec plus de plaisir dans un genre que la comparaison nous a montré plus facile.
En voilà plus peut-être que vous n’en demandiez ; j’ai omis cependant un point ; je ne vous ai pas dit quelles lectures je crois nécessaires, quoique je vous l’aie dit assez, en vous indiquant les exercices écrits à faire. Souvenez-vous de choisir avec soin dans chaque genre les meilleurs
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