Lettres - Tome II
moi-même », dis-je, « j’ai en main, le décret de la province. » – « Vous pouvez donc voir clair dans l’affaire », reprit-il. Et moi : « Si vous y voyez clair dans un sens opposé, il n’est pas impossible que ce soit moi qui y voie le mieux. » Alors le député Polyenus exposa les raisons du désistement et demanda qu’on ne préjugeât rien de la décision de César. Magnus répondit, Polyenus répliqua. Et moi intervenant rarement et en peu de mots, je me confinai dans le silence. L’expérience en effet m’a appris qu’il est parfois aussi habile pour un orateur de se taire que de parler et je me rappelle avoir dans certaines accusations capitales servi les accusés plus par mon silence que par le discours le mieux apprêté. Une mère avait perdu son fils (qui empêche, en effet, bien que j’aie commencé cette lettre dans une autre intention, de parler de nos travaux ?), elle avait dénoncé au prince pour crime de faux et d’empoisonnement les affranchis de ce fils, qui étaient en même temps cohéritiers avec elle, et elle avait obtenu pour juge Julius Servianus. J’avais défendu les accusés devant une nombreuse assemblée, car la cause avait fait du bruit, et des deux côtés il y avait des orateurs illustres. On la termina, en ordonnant la question, qui décida en faveur des accusés. Plus tard la mère se rendit auprès du prince, et lui assura qu’elle avait trouvé de nouvelles preuves. Suburanus fut invité à entendre sa demande en revision, si elle apportait quelque fait nouveau. La mère était assistée de Julius Africanus, petit-fils de ce fameux orateur, qui avait fait dire à Passienus Crispus : « Bien, par ma foi, fort bien ; mais pourquoi si bien ? » Son petit-fils, jeune homme de talent, mais encore peu roué, après avoir parlé beaucoup, et rempli le temps assigné : « Je vous prie, Suburanus, dit-il, de me permettre d’ajouter une seule phrase. » Alors moi, sous les regards de tout l’auditoire qui attendait une longue réponse : « J’aurais répondu, dis-je, si Africanus eût ajouté cette unique phrase, qui contenait, je n’en doute pas, tous les faits nouveaux. » Je ne me souviens pas d’avoir obtenu en plaidant des applaudissements pareils à ceux que je recueillis alors en ne plaidant pas.
Aujourd’hui j’ai obtenu, la même approbation et le même succès, en gardant encore en faveur de Varenus à peu près le silence. Les consuls, comme le demandait Polyenus, ont réservé au prince l’affaire dans son intégralité, et j’attends sa décision avec anxiété. Car ce jour-là m’apportera pour Varenus la sécurité et le repos, ou m’obligera à reprendre la tâche avec de nouveaux soucis. Adieu.
VII. – C. PLINE SALUE SON CHER SATURNINUS.
L’amitié et les affaires.
Dernièrement déjà et maintenant encore, selon votre désir, j’ai adressé des remerciements à notre cher Priscus, et je l’ai fait de grand cœur. Je suis charmé en effet de voir des hommes d’un tel mérite et que j’aime tant, si étroitement liés, que vous vous croyiez obligés l’un envers l’autre à cause de cette amitié. Car lui aussi publie que votre affection lui procure la plus douce joie ; il rivalise avec vous par un noble combat de tendresse mutuelle, et le temps même ne fera que l’accroître. Je suis désolé que les affaires vous accaparent, parce que vous ne pouvez plus vous adonner aux études. Si pourtant vous terminez un de vos procès par l’intervention du juge, et l’autre par vous-même, comme vous le dites, commencez d’abord par jouir dans votre retraite du loisir gagné, puis, rassasié, revenez vers nous. Adieu.
VIII. – C. PLINE SALUE SON CHER PRISCUS.
La correspondance active.
Je ne puis vous exprimer tout le plaisir que me fait notre cher Saturninus en m’écrivant lettre sur lettre pour me dire combien il vous est reconnaissant. Continuez ainsi que vous avez commencé ; chérissez le plus tendrement possible cet homme excellent, dont l’amitié vous donnera les plus grandes joies, et des joies nullement passagères ; car s’il est comblé de toutes les vertus, il se distingue surtout par une rare fidélité dans ses affections. Adieu.
IX. – C. PLINE SALUE SON CHER FUSCUS.
Plan d’études.
Vous me demandez mon avis sur la manière dont vous devez, dans la retraite où vous vous plaisez depuis longtemps, diriger vos études. Un exercice très utile, et que beaucoup
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