Lettres - Tome II
mêmes maux que, devenus sénateurs, devenus victimes à notre tour, nous avons vus et subis durant de longues années, et dont nos esprits ont été même pour l’avenir émoussés, brisés, écrasés. Depuis peu de temps – car le temps passe d’autant plus vite qu’il est plus heureux – nous désirons savoir ce que nous sommes, nous désirons pratiquer ce que nous savons.
J’ai donc bien le droit de vous demander d’abord d’excuser mon erreur, si erreur il y a, ensuite d’y appliquer le remède de votre science, qui s’est toujours préoccupée du droit public comme du droit privé, des usages anciens comme des nouveautés, des pratiques rares autant que des plus communes. De plus, je pense que ceux mêmes, à qui l’habitude de traiter des affaires variées ne permet de rien ignorer, risquent ou d’être peu instruits du genre de question que je vous soumets ou même de ne l’avoir jamais rencontré. Je suis donc plus excusable, si par hasard je me suis trompé, et vous êtes plus digne de louanges, si vous pouvez m’instruire même de ce qu’il n’est pas sûr que vous ayez appris.
On traitait l’affaire des affranchis du consul Afranius Dexter, dont on ne savait s’il avait péri de sa propre main ou de celle de ses gens, par un crime ou par un acte d’obéissance. L’un de nous (qui ? demandez-vous ; moi, mais peu importe) était d’avis de les renvoyer absous après la question, un autre de les reléguer dans une île, un autre de les punir de mort. Ces sentences étaient si différentes, qu’elles s’excluaient l’une l’autre. Qu’ont de commun en effet la mort et le bannissement ? Rien de plus, vraiment, que le bannissement et l’acquittement ; encore la proposition d’acquittement se rapproche plus du bannissement que de la mort (les deux premières en effet laissent la vie, la dernière l’ôte), et pourtant ceux qui punissaient de mort et ceux qui condamnaient au bannissement s’étaient groupés ensemble et, feignant un accord momentané, suspendaient pour un moment leur désaccord.
Moi je demandais que chacun des trois avis formât son groupe et que deux ne se réunissent pas à la faveur d’une courte trêve. J’exigeais donc que ceux qui opinaient pour la condamnation à la peine capitale se séparassent de ceux qui bannissaient, et que ces deux partis, tout prêts à se séparer ensuite, ne s’unissent pas momentanément contre les partisans de l’acquittement, parce qu’il importait fort peu s’ils s’entendaient sur un point, mais ne s’entendaient pas sur l’autre. Il me semblait en outre bien étrange que celui qui avait été d’avis de bannir les affranchis, de condamner à mort les esclaves eût été obligé de diviser sa proposition, tandis que celui qui punissait de mort les affranchis était réuni avec celui qui les bannissait. Car s’il fallait diviser l’avis d’une même personne, parce qu’il contenait deux parties, je ne comprenais pas comment on pouvait réunir les avis de deux groupes dont les propositions étaient si contraires. Mais, je vous prie, permettez-moi d’exposer les raisons de mon sentiment à votre barre, comme là-bas, après que l’affaire est terminée comme lorsqu’elle était intacte, et de vous présenter maintenant avec suite dans le loisir mes paroles d’alors qui furent hachées de mille interruptions.
Supposons que l’on eût nommé trois juges seulement pour cette affaire, que l’un demandât la mort des affranchis, le deuxième leur bannissement, le troisième leur acquittement. Les deux premiers avis, unissant leurs forces, supprimeront-ils le dernier, ou bien chacun des trois séparément sera-t-il aussi fort que les autres, sans qu’il soit possible de joindre plutôt le premier avec le second que le second avec le troisième ? Donc, dans le sénat aussi, il faut tenir pour contraire des avis que l’on y a donnés comme visant à des résultats opposés. Que si un seul et même opinant votait la mort et le bannissement, pourrait-on en vertu de cette unique sentence à la fois les mettre à mort et les bannir ? Regarderait-on enfin comme une sentence unique celle qui réunirait des alternatives si opposées ? Comment donc peut-on, quand l’un vote la mort, l’autre le bannissement, considérer comme une sentence unique, sous prétexte qu’elle est prononcée par deux opinions, une sentence qui ne paraîtrait pas unique, si elle était prononcée par un seul ?
Mais la loi ne vous
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