Lettres - Tome II
enseigne-t-elle pas clairement que l’on doit séparer la sentence de mort de celle du bannissement, quand elle ordonne que, pour recueillir les votes, on se serve de ces termes : « Vous qui êtes de cet avis, rangez-vous de ce côté-ci ; vous qui êtes d’une opinion tout opposée, allez de ce côté-là, avec ceux de votre sentiment. » Examinez et pesez chaque mot : « Vous qui êtes de cet avis », c’est-à-dire, qui opinez pour le bannissement, « rangez-vous de ce côté-ci », c’est-à-dire du côté où est assis celui qui a opiné pour le bannissement. D’où il résulte clairement que ceux qui se décident pour la mort ne peuvent rester du même côté. « Vous qui êtes d’une opinion tout opposée », vous remarquez que la loi ne se contente pas de dire « opposée », mais ajoute « tout ». Peut-on douter qu’ils soient d’un sentiment tout opposé ceux qui veulent la mort et ceux qui veulent le bannissement ? « Allez de ce côté-là, avec ceux de votre opinion » ; n’est-il pas visible que la loi avec précision invite ceux qui sont d’avis différents à se ranger de côtés opposés, les y pousse, les y contraint ? Et le consul aussi n’indique-t-il pas à chacun, non seulement par une formule solennelle, mais encore de la main et du geste, où il doit rester, où il doit passer ?
Mais, dira-t-on, il arrivera que, si l’on sépare les sentences de mort et de bannissement, l’acquittement l’emporte. Quelle valeur a cette objection pour les opinants ? N’est-il pas certain que leur devoir ne consiste pas à mettre tout en œuvre, à user de tous les moyens pour écarter la décision la plus douce ? Il faut cependant, ajoute-t-on, que ceux qui condamnent à la peine capitale, et ceux qui bannissent soient d’abord confrontés avec ceux qui acquittent, et puis entre eux. Il en est donc comme dans certains spectacles où le tirage au sort sépare et réserve un concurrent pour lutter contre le vainqueur, ainsi dans le sénat il y a de premiers combats, de seconds et de deux avis celui qui l’emporte sur l’autre doit se mesurer avec un troisième qui l’attend. Mais, quand le premier avis est adopté, tous les autres ne tombent-ils pas d’eux-mêmes ? Comment donc peut-on ne pas donner un seul et même rang à des sentences, qui toutes doivent ensuite n’être comptées pour rien ? Je reprends plus clairement. Si, au moment même où celui qui opine pour le bannissement exprime son avis, ceux qui condamnent à mort ne se rangent pas aussitôt à l’avis contraire, c’est en vain qu’ensuite ils repousseront un parti auquel ils se seront associés peu avant. Mais quelle idée de m’ériger en maître, quand je désire apprendre si l’on devait diviser les avis ou voter après en avoir groupé deux ensemble chacun des trois séparément ?
J’ai obtenu ce que je réclamais ; mais je n’en demande pas moins si j’ai eu raison de le réclamer. Comment l’ai-je obtenu ? Celui qui proposait le dernier supplice, vaincu, je n’ose dire par la légalité de ma réclamation, mais certainement par son équité, a renoncé à son avis et s’est rangé du côté de celui qui concluait au bannissement, dans la crainte sans doute que, si l’on séparait les avis, ce qui sans cela paraissait inévitable, celui qui concluait à l’acquittement ne prévalût. Car cette sentence réunissait à elle seule beaucoup plus de partisans que chacune des deux autres. Alors ceux mêmes que son autorité entraînait, désemparés par ce revirement, renoncèrent à un avis que son auteur lui-même abandonnait et suivirent comme transfuge celui qu’ils suivaient comme chef. Ainsi les trois avis se réduisirent à deux et de ces deux le second l’a emporté, par l’exclusion du troisième, qui, ne pouvant triompher des deux réunis, a choisi celui auquel il céderait. Adieu.
XV. – C. PLINE SALUE SON CHER JUNIOR.
Le paquet de livres.
Je vous accable en vous envoyant tant de volumes à la fois ; mais je vous en accable, d’abord parce que vous me l’avez demandé, ensuite parce que vous m’avez écrit que les vendanges étaient très maigres chez vous, d’où j’ai bien compris que vos loisirs de vendangeur fourniraient, suivant le dicton, des loisirs au lecteur. Je reçois de mes modestes terres les mêmes nouvelles. J’aurai donc aussi le temps d’écrire pour vous fournir des lectures, pourvu que j’aie de quoi acheter du papier ; sinon je
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