Lettres - Tome II
exclusivement, mais à coup sûr le mieux m’obliger ! Même si je ne lui devais aucun retour, aucune réciprocité, dirai-je, de bons offices, je cèderais cependant à l’attrait soit de son talent si grand, si noble, si doux dans son austérité, soit de son sujet si beau. Il écrit la fin d’hommes illustres, dont quelques-uns m’ont été très chers. Je crois donc accomplir un pieux devoir, à l’égard de ceux dont il ne m’a pas été permis de suivre les obsèques, en assistant à ces sortes d’oraisons funèbres, tardives certes, mais d’autant plus sincères. Adieu.
XIII. – C. PLINE SALUE SON CHER GENIALIS.
L’exemple paternel.
Vous avez eu raison de lire mes modestes ouvrages avec votre père. Il est utile à vos progrès d’apprendre d’un homme si éclairé ce qu’il faut louer, ce qu’il faut blâmer et en même temps de vous former sous sa direction à l’habitude de dire la vérité. Vous voyez qui vous devez imiter, de qui vous devez suivre la trace. Que vous êtes heureux, vous qui avez eu le bonheur de trouver un modèle excellent à la fois et tendrement aimé, vous qui enfin avez à imiter juste celui à qui la nature a voulu que vous ressembliez le plus. Adieu.
XIV. – C. PLINE SALUE SON CHER ARISTO {51} .
La consultation.
Comme vous êtes fort savant aussi bien dans le droit privé que dans le droit public, dont fait partie le droit sénatorial, je désirerais apprendre surtout de vous si dernièrement je me suis trompé au sénat ou non ; ce n’est pas pour le passé – car il serait trop tard – mais pour l’avenir, si un cas semblable venait à se présenter, que je serais heureux d’être renseigné. Vous me direz : « Pourquoi demander ce que vous devriez savoir ? » La servitude des derniers temps a amené l’oubli et l’ignorance de beaucoup d’autres connaissances utiles et en particulier du droit sénatorial. Combien trouvera-t-on d’hommes assez patients pour se résoudre à apprendre ce qui ne doit leur être d’aucun usage ? Ajoutez qu’il est difficile de retenir ce qu’on a appris, si on ne le met pas en pratique. Aussi le retour de la liberté nous a trouvés novices et inexpérimentés ; séduits par sa douceur nous sommes forcés d’agir parfois avant de savoir. Les anciennes institutions voulaient que nos aînés nous apprissent non seulement par les oreilles, mais encore par les yeux, les règles que nous devions ensuite appliquer nous-mêmes et puis transmettre comme à tour de rôle à nos cadets. C’est pourquoi les jeunes gens étaient tout de suite initiés au service militaire, afin de s’habituer à commander en obéissant, et à marcher en tête à force de suivre ; c’est pourquoi ceux qui visaient aux honneurs se tenaient aux portes de la curie et assistaient en spectateurs au gouvernement de l’état avant d’y être acteurs. Chacun avait son père pour maître, et celui qui n’avait plus son père, en trouvait un parmi les plus illustres ou les plus anciens sénateurs. Quel était le pouvoir de ceux qui proposaient les affaires {52} , le droit de ceux qui opinaient, l’autorité des magistrats, la liberté des autres citoyens, quand fallait-il céder, quand devait-on résister, dans quel cas se taire, combien de temps parler, comment séparer les parties contradictoires d’une proposition, comment ajouter à une proposition déjà faite, en un mot toutes les règles sénatoriales étaient apprises par l’exemple, le plus sûr de tous les maîtres. Nous, au contraire, nous avons bien passé une partie de notre jeunesse dans les camps, mais c’était au moment où le zèle était suspect, l’incapacité estimée, les chefs sans autorité, les soldats sans respect, le commandement nulle part, nulle part l’obéissance, le relâchement partout, partout le désordre et même la révolte, enfin toutes les disciplines bonnes à être oubliées plutôt que retenues. Nous avons contemplé aussi la curie, mais une curie tremblante et muette, car, dire ce que l’on pensait était périlleux, et dire ce que l’on ne pensait pas, misérable. Quelles leçons pouvait-on recevoir, quelle utilité de les avoir reçues, dans un temps où l’on ne demandait au sénat que le plus parfait désœuvrement ou les plus grands crimes, où il n’était maintenu que pour servir tantôt de jouet, tantôt de souffre-douleur, et où ses décisions n’étaient jamais sérieuses, mais souvent terribles. Ce sont les
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