Lettres - Tome II
serai contraint d’effacer tout ce que j’aurai écrit, bon ou mauvais. Adieu.
XVI. – C. PLINE SALUE SON CHER PATERNUS.
Les pertes domestiques.
J’ai été accablé par des maladies de mes gens, par des morts même, et des morts de jeunes serviteurs. Deux consolations me restent, bien insuffisantes pour un tel chagrin, mais des consolations cependant. La première, c’est d’accorder avec facilité les affranchissements ; car il me semble que je n’ai pas perdu tout à fait avant l’âge ceux que j’ai perdus après qu’ils eurent reçu la liberté ; la seconde, c’est mon habitude de permettre aux esclaves mêmes de faire une sorte de testament que j’observe aussi exactement que s’il était légal. Ils expriment leurs volontés, leurs vœux en toute liberté ; j’y obéis comme à des ordres. Ils partagent, ils donnent, ils lèguent, pourvu que tout reste dans la maison ; car pour des esclaves la maison est comme leur patrie, leur cité. Mais, quoique je trouve quelque apaisement dans ces consolations, je reste meurtri et brisé par le sentiment d’humanité même qui m’a inspiré ces complaisances.
Je ne voudrais pas toutefois en devenir plus dur. Je n’ignore pas que d’autres se contentent d’appeler perte d’argent les malheurs de ce genre et se croient après cela de grands hommes et des sages. Qu’ils soient grands ou sages, je l’ignore ; mais des hommes, non. Un homme doit être accessible à la douleur, la ressentir, y résister cependant et accepter les consolations, non pas n’avoir besoin d’aucune consolation.
Mais en voilà sur ce sujet plus peut-être que je n’aurais dû, moins certainement que je n’aurais voulu. Car il y a même dans la douleur une certaine volupté, surtout lorsqu’elle s’épanche dans le cœur d’un ami, auprès duquel nos larmes trouvent toutes prêtes ou une approbation ou une excuse. Adieu.
XVII. – C. PLINE SALUE SON CHER MACRINUS.
L’inondation.
Est-ce que dans votre pays aussi le temps est maussade et orageux ? Ici ce sont des tempêtes continuelles et de fréquentes inondations. Le Tibre est sorti de son lit et coule à flots profonds par dessus les parties basses de ses rives. Quoiqu’un canal, creusé par l’admirable prévoyance de l’empereur, recueille une partie des eaux, il remplit les vallées, il couvre les campagnes, partout où le terrain est plat, au lieu du terrain on ne voit que lui. Par suite, au lieu de recevoir comme d’ordinaire ses affluents et de rouler leurs eaux mêlées aux siennes, il semble aller au-devant d’eux et les refouler, recouvrant ainsi d’eaux qui ne lui appartiennent pas les terres qu’il n’atteint pas lui-même. L’Anio, la plus charmante des rivières, que les villas bâties sur ses bords ont l’air d’inviter et de retenir, a brisé et emporté en grande partie les bois qui l’ombragent. Minées par lui des hauteurs se sont éboulées et leur masse l’obstruant sur plusieurs points, tandis qu’il cherchait son cours perdu, il a jeté bas des maisons, puis s’est répandu et élevé sur leurs ruines. Ceux qui ont été surpris par cet ouragan en des lieux plus élevés ont vu ici les mobiliers des riches, de la vaisselle massive, là des instruments agricoles, ici des bœufs avec les charrues et les laboureurs, là des troupeaux de bœufs lâchés et livrés à eux-mêmes, et parmi tout cela des troncs d’arbres, des poutres de villas qui flottaient de tous côtés. Le désastre n’a pas même épargné les lieux que n’atteint pas le niveau du fleuve. Car au lieu du fleuve ce furent des pluies incessantes et des trombes précipitées des nuages, l’écroulement des ouvrages qui entourent les campagnes les plus riches, des tombeaux lézardés ou renversés ; beaucoup de personnes ont été blessées, ensevelies, écrasées par des accidents de ce genre et les deuils s’ajoutent aux dommages {53} .
Je crains qu’il n’en soit arrivé autant chez vous, et je mesure ma crainte à la grandeur du péril ; s’il n’en est rien, je vous supplie d’apaiser au plus tôt mon inquiétude ; mais même s’il en était ainsi, faites-le moi toujours savoir. Car il y a fort peu de différence entre subir un malheur ou l’attendre, si ce n’est toutefois que l’affliction a une limite, tandis que la crainte n’en a pas. Car on s’afflige dans la mesure du malheur que l’on sait arrivé, on craint dans la mesure où il peut arriver. Adieu.
XVIII.
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