Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
Vom Netzwerk:
suffit pas. Il faut aimer encore ceux qui ne nous aiment pas. Et même nos ennemis.
    — Alors, reprends ton souffle, parce que, des ennemis, tu vas en avoir ! Te rends-tu compte où tu vas ? Quelle vie te prépares-tu ?
    — Ma vie ne m’intéresse pas. Je ne veux ni vivre pour moi ni mourir pour moi.
    — Quoi ! tu n’as pas de rêve personnel ?
    — Aucun. Je veux juste témoigner. Dire aux autres ce que je trouve au fond de mes méditations.
    — Les autres ! Les autres ! Pense donc à toi, d’abord ! Tu désespères ta mère. Je veux que tu réussisses ta vie à toi !
    — Maman, au fond de moi, ce n’est pas moi que je trouve.
    Elle pleura de nouveau, ce n’étaient plus les mêmes larmes, celles-ci consentaient davantage.
    — Tu deviens fou, mon Yéchoua.
    — Aujourd’hui, j’ai le choix entre une carrière de fou et une carrière de mauvais charpentier. Je préfère faire un bon fou.
    Elle rit dans ses sanglots. Je me sentais fragile face au chagrin de ma mère. Je quittai Nazareth au plus vite.
     
    Les ennuis commencèrent avec mes premiers miracles.
    Je ne sais ce que l’avenir retiendra de ma vie mais je ne voudrais surtout pas que se propage cette rumeur qui m’encombre déjà, dans laquelle je me suis pris les pieds : ma réputation de faiseur de prodiges.
    Les premières fois, je les exécutai sans même m’en rendre compte. Un regard, une parole peuvent soigner, tout le monde sait cela, et je ne suis pas le premier guérisseur à exercer sur la terre de Palestine. Il faut prendre son temps, bander son énergie et se consacrer tout entier au souffrant, parfois même absorber sa douleur. N’importe qui y parvient et je me devais de soulager à mon tour. Oui, j’ai touché les plaies, oui j’ai soutenu les regards de souffrance, oui, j’ai passé des nuits auprès des grabataires ; je m’asseyais contre les infirmes et je tentais, par les mains, de leur donner un peu de cette force qui bouillonne au fond de moi ; je parlais avec eux, je tentais de trouver une issue à leur souffrance et je les engageais à prier, à trouver le puits d’amour en eux. Ceux qui réussissaient allaient mieux. Les autres non. Certes, je vis des paralytiques se relever, des aveugles rouvrir les yeux, des boiteux déambuler, des lépreux arrêter de partir en miettes, des femmes cesser de saigner, des sourds intervenir dans la conversation, des possédés se purger de leurs démons. Mais ma réputation n’a retenu que ceux-là, elle a oublié ceux qui restèrent cloués dans leur malaise parce que ni moi ni eux n’étions arrivés à quelque chose. Je ne détiens aucun pouvoir, sauf celui, éventuellement, d’aider à ouvrir la porte qui, au fond de chacun, conduit à Dieu. Et même cette porte, je ne peux la franchir seul, il faut qu’on m’accompagne.
    À chaque malade, je demandais :
    — As-tu la foi ? Seule la foi sauve.
    Rapidement, plus personne ne prit garde à ma question, n’y voyant qu’une formule. On se ruait vers moi comme les vaches à l’abreuvoir, sans discernement.
    — Est-ce que vous faites les maladies de peau ?
    — Et la repousse des cheveux ?
    — Et les règles douloureuses ?
    On m’interrogeait, comme un commerçant : avez-vous cet article dans votre échoppe ? Je répondais :
    — As-tu la foi ? Seule la foi sauve.
    En vain. On me transformait en magicien. On n’entendait plus que mes prodiges n’étaient pas gratuits, qu’ils avaient un sens spirituel, qu’ils exigeaient une double foi, celle du malade et celle du guérisseur. On m’envoyait des paresseux, des incrédules, et cependant, même si j’échouais avec neuf d’entre eux, un seul rétablissement augmentait ma gloire dans des proportions inouïes.
    Je ne voulus plus guérir. J’interdis aux disciples de laisser approcher le moindre malade. Mais comment résister à la souffrance vraie ? Quand un enfant chétif ou une femme stérile présentaient leurs larmes devant moi, je tentais l’opération quand même.
    Les malentendus s’accumulaient. Je ne maîtrisais plus rien. On m’attribua des miracles. On me vit multiplier les pains dans les paniers vides, le vin dans les jarres vides, les poissons dans les filets vides, toutes choses qui sont bien arrivées, je l’ai constaté moi-même, mais qui devaient avoir une explication naturelle. Plusieurs fois, j’ai même soupçonné mes disciples… N’ont-ils pas mis en scène ces prétendus prodiges ? N’ont-ils pas

Weitere Kostenlose Bücher