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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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d’arrêter de jouer ce rôle de Christ ; comme je n’y avais jamais répondu, ils venaient m’imposer un conseil de famille.
    Des curieux entouraient l’auberge où nous nous étions réfugiés, les disciples et moi.
    — Laissez-nous passer, criaient mes frères, nous sommes sa famille. Nous avons priorité. Laissez-nous passer. Nous devons lui parler.
    Les paysans très impressionnés, leur ouvrirent un passage.
    Je me plantai à la porte pour les arrêter. Je savais que j’allais leur faire mal, mais je devais agir ainsi.
    — Qui est ma vraie famille ? Ma famille n’est pas de sang, elle est d’esprit. Qui sont mes frères ? Qui sont mes sœurs ? Qui est ma mère ? Quiconque obéit à la volonté de mon Père. Je vous vois pleins de haine, je ne vous reconnais pas.
    Je désignai mes disciples, à l’intérieur.
    — Si quelqu’un vient avec moi, et s’il ne lâche pas son père et sa mère, ses frères et sœurs, sa femme et ses enfants, il ne peut être mon disciple.
    Et je claquai la porte au nez de mes frères et de ma mère.
    Mes frères repartirent, ivres de rage. Mais ma mère resta, écroulée, attendant humblement à la porte. À la nuit, je la fis entrer et nous avons mêlé nos larmes.
    Elle ne m’a plus quitté jusqu’à cette nuit. Elle m’a suivi, discrète, en arrière, au milieu des femmes, avec Myriam de Magdala, permettant à chacun, y compris à moi-même, d’oublier que j’avais pu être son fils. De temps en temps, nous nous sommes retrouvés en cachette pour des baisers furtifs. Depuis ma brouille avec mes frères, elle veille sur moi car elle m’a entendu. Elle a admis que je mettais l’amour en général plus haut que l’amour en particulier. Ma plus grande et belle fierté sur cette terre est sans doute d’avoir, un jour, convaincu ma mère.
    Je ne me confiais qu’à Yehoûdâh. Ensemble, nous relisions les textes des prophètes. Depuis mon pari secret, j’y prêtais une autre oreille que par le passé.
    — Tu dois retourner à Jérusalem, Yéchoua. Le Christ connaîtra son apothéose à Jérusalem, les textes sont formels. Tu devras être humilié, torturé, tué, avant de renaître. Il va y avoir un moment difficile.
    Il en parlait paisiblement, illuminé par sa foi. Lui seul avait saisi ce qu’était le Royaume, un royaume sans gloire où il n’y aurait aucune réussite matérielle ni politique. Il me décrivait mon agonie avec le calme de l’espérance.
    — Tu mourras quelques jours Yéchoua, trois jours, puis tu ressusciteras.
    — Il faudrait en être sûr.
    — Allons Yéchoua. Un sommeil de trois jours ou d’un million d’années n’est pas plus long qu’un sommeil d’une heure.
    Auparavant, je n’avais pas songé sérieusement à la mort et je voulais savoir ce que mes méditations m’en diraient. En descendant au fond de moi, chez mon Père, je n’y trouvais rien d’effrayant. « Tout est justifié », me disait-il. « Tout est bien. Seul le corps est soumis à la putréfaction, aux vers, à la disparition. L’essentiel demeure. »
    Ce n’était pas précis, mais c’était rassurant. De temps en temps, sur les flots en fusion, il me semblait apercevoir une autre idée : que nous existions après cette vie en fonction de ce que fut cette vie ; que le juste perdure dans un bon souvenir ; que le scélérat s’enfonce dans son pire souvenir, éternellement. Cependant, dès que je tentais de m’en approcher, l’image s’enfuyait, rapide, volatile. En tout cas, mes voyages me confirmaient qu’il n’y avait rien à craindre de la mort qui ne pouvait se révéler qu’une bonne surprise.
     
    Jérusalem était devenu le nom de mon souci. Le nom de mon destin. Le lieu de ma mort. Je devais achever ma prédication à Jérusalem.
    Jérusalem, je m’y étais rendu plusieurs fois, comme tout Juif pieux, brièvement, à la Pâque. Je devais songer maintenant à y rester.
    Nous avons pris la route.
    Je ne pouvais pas me voiler la vérité : je changeais. L’amertume et le reproche se glissaient trop souvent dans mon cœur. Moi qui n’avais été qu’amour, je devenais acerbe, impatient, agacé. Alors que je ne chérissais rien tant que la douceur, je me montrais capable d’insulter âprement mes adversaires. Quand je voulais annoncer la bonne nouvelle, l’arrivée du Royaume, je me tordais la langue dans ma rhétorique et je m’entendais menacer, tempêter, promettre les pires châtiments au nom de Dieu. À d’autres

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