L'Evangile selon Pilate
dans le cercueil et me plongeai dans la prière la plus violente de ma vie.
— Mon Père, fais qu’il ne soit pas mort. Donne-lui droit à la vie. Rends heureuse sa mère.
Je m’étais jeté dans la prière comme un désespéré, je n’en attendais rien, c’était juste un trou où blottir mon chagrin.
Les mains de l’enfant s’accrochèrent aux miennes et le garçonnet, lentement, se releva.
Des cris de joie éclatèrent tout autour, les deux cortèges communiaient dans le même bonheur, mes disciples et les anciens affligés. Nous étions trois à demeurer muets, nous demandant ce qui s’était passé, osant à peine y croire : Rébecca, son fils et moi.
Le soir même, l’enfant parlait de nouveau. Il vint avec Rébecca me couvrir de baisers. Moi, je restais prostré dans le silence et la stupéfaction.
À minuit, sous l’ombre grise d’un olivier, Yehoûdâh me rejoignit.
— Alors, Yéchoua, quand cesseras-tu de nier l’évidence ? Tu l’as ressuscité.
— Je n’en suis pas certain, Yehoûdâh. Tu sais comme moi qu’il est difficile de reconnaître la mort. Combien de gens sont enterrés vivants ? C’est pour cela que, souvent, nous mettons d’abord les défunts dans des caves. Peut-être l’enfant n’était-il qu’évanoui ?
— Crois-tu qu’une mère aurait été capable de se tromper et de porter son enfant endormi au tombeau ?
Je retombai dans le mutisme. Je préférais ne plus prononcer une parole car, si j’avais ouvert la bouche, au lieu de remercier mon Père d’avoir entendu ma prière, je l’aurais insulté ! Me faire des signes pareils ! Non ! Je ne voulais pas qu’il me distingue autant, je ne savais que trop à quoi cela m’engageait. Je refusais ! Je refusais ce destin ! J’avais l’impression de me battre en duel avec Dieu. Il voulait m’imposer sa victoire, me désarmer, m’ôter mes doutes. Pour que je devienne son champion, il tentait de me convaincre. Mais je savais qu’il n’obtiendrait rien sans mon consentement, que je gardais mes chances, que je pouvais encore nier ses signes. Toute la nuit, je me suis rebellé sans faiblir.
Puis le matin vint nettoyer le ciel et lorsque le coq gratta sa gorge, je m’assoupis d’épuisement.
En rouvrant les yeux, j’avais accepté que Dieu m’aime autant.
J’appelai Yehoûdâh, mon disciple préféré, car rien ne devait lui faire davantage plaisir que ce que j’allais lui dire.
— Yehoûdâh, je ne sais qui je suis. Je sais seulement que je suis habité par plus grand que moi. Je sais aussi, par cet amour qu’il me prouve, que Dieu attend beaucoup de ma vie. Alors, Yehoûdâh, je te le dis : je fais le pari. Je fais le pari, du plus profond du cœur, que je suis celui-ci, celui que tout Israël attend. Je fais le pari que je suis bien le Fils.
Yehoûdâh se jeta à terre, mit ses bras autour de mes chevilles, et me tint longuement les pieds embrassés. Je sentais ses larmes chaudes couler entre mes orteils.
Pauvre Yehoûdâh ! Il en était, comme moi, tout à la joie. Il ne savait pas à quelle nuit ce matin allait nous conduire, ni ce que ce pari allait exiger de nous.
Ce soir, la mort m’attend dans ce jardin. Les oliviers sont devenus aussi gris que la terre. Les grillons font l’amour sous le regard bienveillant d’une lune maquerelle. Je voudrais être un des deux cèdres bleus, dont les branches, la nuit, servent d’asile aux nuées de colombes et, le jour, abritent les petits bazars bruyants sous leurs ombrages ; comme eux, j’aimerais prendre racine, insouciant, et dispenser du bonheur.
Au lieu de cela, je n’ai fait que semer des graines que je ne verrai ni grandir ni s’épanouir. Je guette la troupe qui viendra m’arrêter. Mon Père, donne-moi de la force dans ce verger indifférent à mon angoisse, donne-moi le courage d’aller jusqu’au bout de ce que j’ai cru, par folie, être ma tâche…
Dans les jours qui suivirent ma décision, Hérode fit arrêter Yohanân le Plongeur et le boucla dans la forteresse Machéronte. Hérodiade, sa nouvelle épouse, voulait la peau du prophète qui avait osé blâmer son mariage.
Yohanân, inquiet, me fit parvenir un message de sa prison.
« Es-tu bien celui qui doit venir ? Es-tu le Christ ? Ou bien faut-il que j’en attende un autre ? »
Je savais que Yohanân s’étonnait que je passe mon temps avec des hommes du peuple, des courtisanes, qu’il me reprochait de manger et de boire gloutonnement, lui qui
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