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L'Evangile selon Pilate

L'Evangile selon Pilate

Titel: L'Evangile selon Pilate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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Yéchoua. Il est mort il y a trois jours.
    Quoique les nombreux proches que j’avais perdus au long de ma vie m’aient habitué au deuil, là, sur la fontaine de Béthanie, je ne sais pourquoi, je me mis à pleurer avec les deux femmes. Je percevais quelque chose de prémonitoire dans la mort de mon cher Lazare, les forces du néant l’emportant sur les forces de la vie ; j’avais le sentiment que, toujours, le négatif vaincrait. Lazare me précédait dans la mort pour me signifier que tout était sur le point de finir.
    Qu’il pesait lourd ce chagrin simple qui nous unissait, Myriam, Marthe et moi, qui mêlait nos chairs humides soulevées par les sanglots ! Contre moi, entre mes bras, je sentais leurs épaules, leurs poitrines et je me disais, avec horreur, qu’elles aussi deviendraient poussière.
    Quand nos yeux furent secs, mon cœur n’était toujours pas apaisé. Je demandai à aller voir Lazare.
    On m’ouvrit la pierre qui fermait son tombeau et je pénétrai dans la cavité creusée dans la roche.
    Le parfum ravageur de la myrrhe empoissait l’air. Soulevant le suaire, je vis le visage creusé, verdâtre, cireux de mon ami Lazare. Je m’allongeai à côté de lui sur la dalle. Lazare, je l’avais toujours considéré comme le grand frère que je ne n’avais pas eu dans la vie ; voilà qu’il devenait mon grand frère dans la mort.
    Je me mis à prier. Je descendis au puits d’amour. Je voulais savoir s’il y était. Là, je retrouvai la lumière éblouissante, mais je n’appris rien. « Tout est bien », répétait mon Père, à son habitude. « Tout est bien, ne t’inquiète pas. »
    Lorsque je revins du puits, Lazare était assis à côté de moi. Il me regardait avec stupeur, ébahi, engourdi, surpris.
    — Lazare, tu es vivant ! Te rends-tu compte ? Tu es vivant !
    Les mots ne semblaient pas vraiment arriver à sa pensée. Il essaya d’articuler quelque chose avec sa bouche trop molle sans y parvenir.
    — Lazare, tu es ressuscité !
    Ses traits n’exprimaient rien ; ses yeux partaient en arrière, comme s’il voulait dormir.
    Je le pris sous les bras et je l’amenai au jour.
    Décrire l’émotion des disciples et de ses sœurs quand nous sortîmes du tombeau est impossible. Lazare, lui, placide, égaré, se prêtant aux embrassades des siens sans avoir l’air de comprendre, était devenu totalement muet, l’ombre de lui-même. Je ne sais même pas s’il avait gardé un peu d’intelligence. Était-ce le choc de la résurrection ? On me dit qu’il se trouvait déjà dans cet état les derniers jours de sa maladie.
    Une voix ironique à l’intérieur de moi, la voix de Satan, me répétait sans cesse :
    — Es-tu sûr qu’il était mort ?
    En me battant pour la faire taire, je ne parvenais qu’à l’augmenter.
    — Bon, d’accord, il est revenu des morts, mais pour dire quoi ? Quel intérêt ? Passionnant témoignage, non ?
    Je m’isolai et plongeai, désespéré, dans la prière.
    La main de Yehoûdâh, posée sur mon épaule, me fit sursauter. Il rayonnait de confiance.
    — Le troisième jour, tu reviendras. Et je serai là. Et je te serrerai dans mes bras.
    Mon Dieu, pourquoi n’ai-je pas la foi de Yehoûdâh ? Douterai-je donc toujours ? Aucune de tes réponses, mon Dieu, n’étouffe mes questions.
    Nous avons rejoint le festin qui s’organisait autour du pauvre Lazare vivant mais défait. J’avais beau braquer ma pensée sur le bonheur de Marthe, de Myriam, sur les caresses qu’elles prodiguaient à ce grand frère taciturne, encore moins expressif qu’un chien, je ne pouvais chasser le scrupule : j’étais responsable de son état. Mon Père avait exécuté le miracle pour me rassurer, moi et moi seul, m’assurer que je reviendrais de la mort, et que moi, à la différence de Lazare, je parlerais. Pour moi, il avait sacrifié le repos de Lazare. Une répétition avant le spectacle. Des larmes de honte ravagèrent mon visage.
    Enfin une voix sortit du puits et me dit que l’amour, le grand amour, n’a parfois rien à voir avec la justice ; que l’amour doit souvent se montrer cruel ; et que mon Père, lui aussi, pleurerait quand il me verrait sur la croix.
    Nous sommes arrivés ici, au mont des Oliviers.
    Pendant les dernières heures de ce voyage, je n’ai songé qu’à protéger les miens. On doit m’arrêter moi – rien que moi –, pour blasphème et impiété sans que la faute soit partagée par mes amis.
    Comment

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